Limbo (2010, Jeppe Carlsen)

Publié le par GouxMathieu

   Peu de temps après le phénomène Braid, un autre jeu indépendant au fort parti-pris graphique vit le jour : Limbo. Bien que très différents dans leur approche du genre de la plate-forme, on a eu souvent tendance à les associer, du moins en esprit : rien de plus faux, selon moi, tant le plaisir se fait différent dans l'un ou dans l'autre.

 

 

   Si Braid jouait effectivement avec la carte impressionniste, et cherchait à foisonner, à multiplier les coups d'éclat, les idées, les couleurs, Limbo, quant à lui, ne désire rien de plus que la simplification. Simplification des graphismes, en noir et blanc uniquement en passant par toutes les gammes de gris ; simplification du gameplay, puisqu'on n'aura guère ici d'idées vues nulle part ailleurs, tout respirant l'hommage ; simplification de l'histoire, puisqu'on n'en saura rien ou presque.

   Il y a cependant, que ce soit dans l'un ou dans l'autre, l'envie de faire quelque chose de différent : à partir d'un modèle fondateur que l'on peut sans ennui désigner, Super Mario Bros., les développeurs, Jonathan Blow d'un côté, Jeppe Carlsen de l'autre, s'en éloignent le plus possible par des moyens alternatifs. Le grand plaisir de Limbo vient alors, en très grande partie, de son aspect "révolutionnaire" voire "terrorriste" vis-à-vis de cette école populaire, et comme tous les jeux sur la norme, il convient de connaître cette dernière pour comprendre pleinement les dimensions de l'œuvre nouvelle.

    Au-delà, dès lors, de la forme des choses, qu'il nous faut rapidement dépasser pour entrer au cœur du propos, Limbo se permet de réfléchir sur plusieurs éléments déjà entrevus par le passé, mais avec une ferveur nouvelle : son rapport avec la mort, et notamment la mort de son héros, s'il ne peut que faire penser à Heart of Darkness, surprend cependant tant la chose semble intégrée par le média. Elle redevient alors un moment horrible, le jeu multipliant les bruits d'os fracassés, les électrocutions spasmodiques, les éviscérations délicieuses. Elle intègre également, ce qui est plus rare, la mort d'autres êtres humains, et non pas de créatures monstrueuses, et plusieurs énigmes demandent souvent à se servir des cadavres trouvés pour progresser.

   Les environnements, de même, semblent être des réécritures de thèmes chers au jeu vidéo, l'usine, la ville, la forêt, les grottes : disposés dans un canevas sans coupure d'aucune sorte, ils remettent en cause l'évolution que l'on a l'habitude de connaître, le changement se faisant des plus subpretices ; les énigmes, enfin, sont toutes mortelles et demandent à échouer une fois première, très régulièrement, pour pouvoir ensuite progresser.

   Il serait alors facile de faire de Limbo une façon de "négatif" de Super Mario Bros., aussi sombre que ce dernier est sémillant, aussi malhonnête qu'il serait ouvert aux joueurs. C'est un monde qui s'est entièrement donné au crépusule et qui élimine patiemment de son équation toute la lumière qui pourrait exister : la quête même, qui reprend le mythe de la "demoiselle en détresse", ne sera jamais résolue et aucune espèce de réponse ne sera donnée. Il est dur alors de dire que Limbo est un jeu narratif : s'il l'est, c'est sans doute empiriquement, et nous projetons volontiers davantage de sens que le jeu ne le voudrait, habitués serions-nous à relier ce qui semble épars.

   C'est alors dans la figure de la toile, que représente assez facilement l'araignée qui nous pourchassera dans le premier tiers du jeu, qu'il faudra aller pour tenter de "démêler les fils". La figure a sans doute du sens, du moins elle possède une symétrie qui nous empêche de la croire hasardeuse : mais d'un autre côté, sa destinée est de nous enfermer et nous serons bientôt dévorés par notre quête de sens.

   Il y a dans ce jeu une forme d'échec, échec du sens, échec de la signification, qui ne peut qu'intriguer. L'aporie de ses graphismes, de son environnement sonore, de son gameplay même, en fait une aventure bien à part des sentiers balisés que nous avons l'habitude de fréquenter. Étrangement cependant, sa traversée ne remplit pas un vide en particulier, et si sa fin peut décontenancer, il ne laisse pas ce balancement que Braid, par ses lectures multiples, créait volontiers. C'est que son intérêt tient davantage à son exercice qu'à sa résolution : et c'est sans doute en cela qu'il peut prétendre, quelque part, à l'artistique, du moins au stylistique.

   Limbo est un jeu intéressant, à plus d'un titre. Il est encore, à l'heure actuelle, l'un des seuls représentants de sa race. Objet non-identifié, pensum contrôlé qui semble irrémédiablement vain, il invite cependant facilement à y revenir, et je me surprends à refaire l'aventure, de temps à autres, comme si je devais nécessairement y trouver quelque chose.

   Cela n'arrive jamais, bien évidemment : et c'est peut-être encore cette faillite interprétative qui fascine. Limbo ne se laisse pas enfermer, comme d'autres, dans un message univoque. Rigoureusement décevant, il est peut-être l'expérience du rien la mieux réussie dans le monde du jeu vidéo.

   Pour poursuivre la lecture : l'article de Grospixels sur le jeu. 

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C
Coucou, <br /> Limbo est un vrai chef-d’œuvre ! J’ai découvert cette licence sur PC et j’ai été conquise. Le studio Playdead nous a proposé un univers poétique et il est difficile de ne pas se laisser embarquer.
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