Bubble Bobble (1986, Taito)

Publié le par GouxMathieu

   À l'image de la littérature ou du cinéma, le jeu vidéo a son lot de chefs d'œuvre et certains d'entre eux d'avoir été présentés ici, mais il présente également des œuvres majeures dans leur minorité, c'est-à-dire excellents dans une sous-catégorie, ou un genre secondaire, peu connue des habitués. Parlons un peu de Bubble Bobble et des "comical action platformer", comme on se plaît à présent à les appeler.

 

   Un peu d'histoire peut-être. En 1986, le genre dit de la "plate-forme" gagnait progressivement en popularité et éclipsa, du moins pendant quelques années, les jeux d'action ou d'énigmes qui accompagnèrent la création du média. Ces titres, à l'instar de Pitfall sur Atari 2600 ou Donkey Kong en arcade peuvent être associés à un renouveau du jeu vidéo en orientant le regard du joueur sur un élément jusque là notablement passé sous silence, le héros de jeu vidéo.

   La puissance des machines augmentant, ce qui était à l'origine des formes géométriques, des lignes et des triangles, des points, se transforma en petits bonhommes, en animaux anthropoïdes, en robots intelligents. Avec un meilleur détour de ces personnages, il a fallu leur inventer un passé et un avenir, un présent de l'aventure et progressivement voilà les jeux vidéo se douer d'une histoire et d'une narration, d'un "pré-jeu" qui fit sortir le média de l'exploit technologique pour l'entraîner sur le terrain de l'épopée.

   Le jeu de plate-forme de se trouver à la croisée des chemins et, en attendant l'invention du scrolling qui permit d'étendre l'univers un peu partout, de se développer dans des écrans fixes où plusieurs obstacles lui barrent la route. En définitive, de Lode Runner à Super Mario 3D World, il serait plus juste de parler de continuum que de rupture ou, du moins, bien malin serait celui qui affirmera qu'ici est le passé, et que là est le présent. Plus intéressant peut-être sont les entreprises de catégorisation et de classement générique, d'identification des différents mouvements, identification fondée sur les objectifs, sur la patte graphique, sur la difficulté, la durée de vie ou le support, ou que sais-je encore.

   Si Bubble Bobble n'a guère créé sa catégorie, celle du "jeu de plates-formes à écran fixe, à la complétion dépendante de la mort des ennemis et au design cartoon", aussi appelée "Comical Action Platformer" par les initiés, son influence fut déterminante et non seulement sa postérité fut nombreuse, mais ses thuriféraires fleurirent rapidement en arcade à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Le jeu de Taito a toujours gardé cependant la primauté et l'excellence qui lui est associée, et pour y être revenu récemment encore, n'a rien perdu de sa superbe.

   J'avais déjà parlé du "blue sky" dans ces colonnes, et il est à propos de l'évoquer encore. Bubble Bobble est un jeu qui respire la bonne humeur et la candeur, tant et si bien qu'il éclipse en riant les quelques imprécisions de gameplay qui, dans un cadre autrement moins riant, auraient pu lui porter préjudice. Sa maniabilité pesante est effacée par le contraste joyeux de ses personnages ; son level design parfois peu inspiré est compensé par le bonhomme de ses mouvements ; récolter les diamants et les bananes apparaissant à la mort des ennemis fait oublier sa lenteur approximative.

   Le paradoxe de ce jeu est enfin comme tout contenu dans son thème principal, incroyablement entêtant et qu'on imaginerait volontiers répétitif lorsque joué pour la dixième, onzième ou centième fois, car seule musique du jeu : mais étrangement, il ne m'a jamais dérangé. Il ne me viendrait jamais à l'idée de couper le son lors de mon parcours alors que d'autres jeux, aux pistes pourtant bien plus symphoniques, ont connu la sourdine : c'est qu'on ne peut ignorer le sourire d'un enfant tranquille et ce quand bien même n'apprécierait-on point sa compagnie régulière. Bubble Bobble est un sucre d'orge que l'on aime toujours déguster, même s'il finira toujours par donner la nausée : mais il suffit de s'en éloigner suffisamment pour s'en languir et y revenir, heureux. Et comme disait l'autre, il n'est point nécessaire de progresser pour l'entreprendre à nouveau.

 

Commenter cet article