Moumines (1945-1993, Tove Jansson)

Publié le par GouxMathieu

   J'ai fait la connaissances des Moumines, comme d'autres de ma génération je présume, par l'intermédiaire d'une série animée diffusée à la télévision ; j'ai depuis visité la Finlande, et j'ai depuis parcouru davantage de cette famille de trolls faisant de la philosophie,comme d'autres font de la prose, sans le savoir et sans y paraître.

 

 

   Par certains endroits, il en est des Moumines comme il en irait des Schtroumpfs : ce sont des créatures imaginaires, trolls ou lutins des bois, partageant beaucoup de traits avec nous autres êtres humains ; ils vivent, rient, mangent, pleurent au gré des saisons comme nous le faisons ; ils rêvent de fortune ou de tranquillité, attendent la fin des tempêtes et écoutent la pluie tomber sur leurs carreaux. En chemin, ils évoquent la dureté du temps qui passe, la vanité des choses matérielles ; ils allégorisent, d'une très belle façon, sur ce qui nous entoure et ce que nous sommes.

   Il me faut cependant tracer une séparation ici : car bien qu'émanant du même projet, les œuvres ne partagent ni le rythme, ni l'essence, ni même le propos. Les Schtroumpfs sont surtout tournés sur eux-mêmes, le monde hors du village n'est que menace, qu'elle prenne la forme du sorcier grimaçant ou d'un concept, l'argent ou la médecine, rapportée sans ordre ni mesure ; les Moumines regardent vers l'extérieur au contraire, et ce même s'ils préfèrent toujours leur jardin et leurs pénates aux néons et aux palais. Le bonheur ne vient pas, chez eux, de la tranquillité d'une chambre pascalienne ; mais plutôt du choix fait, une fois vus les désastres de l'inconséquence et de l'orgueil, de ne garder que le bon, et bluter l'ivraie.

   Il en va ainsi de Snufkin, ce genre d'ermite tranquille, peut-être moins haruspice que sorcier mais sans doute plus sagace qu'innocent, et qui souvent tient le rôle de compas moral de la mesnie. Il vit seul, de pêche souvent, et s'éloigne du danger et des miroirs aux alouettes. On le trouve pourtant toujours dans son hamac, et il résiste même aux travers les plus dangereux, le premier étant de moraliser son action, le second de politiser ses discours. Il parle peu, et agit sereinement ; il évite ce faisant les mouvements contraires qui sont bien les origines des malheurs, dans cette fiction comme dans notre réalité.

   Les Moumines sont donc infiniment politiques, mais d'un discours bien différent, culture oblige peut-être, de ceux que l'on connaît peut-être mieux dans nos contrées. Quand Peyo fait de la grande histoire sociale, il dénonce l'autocratie, il dénonce la ségrégation ou la finance ; quand Jansson fait de la grande analyse politique, elle évoque l'inéluctable de la mort, du froid et de la solitude. Les sachants se rappellent volontiers du Groke, ce fantôme étrange qui gèle tout sur son passage et que l'on ne peut pas combattre, symbole même du memento mori qui choisit, sans en être véritablement consciente, qui sera épargné et qui ne le sera pas.

   Cette attention portée à l'inévitable, à la façon dont nous ne sommes jamais qu'une partie d'un grand tout, on la retrouve dans le style étonnant de l'illustratrice, qui manie avec un talent rare les pleins et les déliés, les mouvements et les silences. Les moments de pluie et de tempête sont d'une énergie intelligente ; avec trois traits, la voilà matérialiser une prairie ou une montagne. Il y a comme une tranquillité évidente dans ces dessins, que l'on retrouvera qui chez Quino, qui chez Watterson qui peut-être, se seront inspirés de la dessinatrice, et de cet équilibre du silence qui rend le bruit d'autant plus vif.

   Je ne sais, pour terminer, quelle est la postérité des Moumines aujourd'hui. En Finlande, et je peux en témoigner, la chose est une institution, on trouve même un parc d'attractions que je n'ai eu hélas le plaisir de visiter ; quand j'en parle autour de moi en revanche, il me semble étonner tout le monde. Mais peut-être que le moment est venu, et peut-être a-t-on besoin des Moumines, de leur tranquillité blanche, de leur intelligence paisible, de leur sagesse de montagne. Peut-être a-t-on besoin de calme, pour mieux affronter les prochaines tempêtes, que le Groke vient nous apporter.

 

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