Les Dingodossiers (1967, Goscinny & Gotlib)

Publié le par GouxMathieu

   J'ai eu jadis parlé de Gotlib, pour la Rubrique-à-Brac et pour les Rhââ... ; et si ce sont par ces séries que j'ai connu ce grand dessinateur, j'aime particulièrement Les Dingodossiers qui ont fait sa réputation auprès des lecteurs et lectrices de Pilote (mâtin, quel journal !) et dans lesquels ses premières marottes s'exprimèrent.

 

 

   Goscinny, on le saura, imprima de son influence durable la bande dessinée francophone. Du rouleau compresseur éditorial que fut Astérix aux séries peut-être moins vendeuses, mais bien populaires telles Lucky Luke ou Iznogoud, difficile de savoir ce que serait devenu le neuvième art sans son concours. Il y tout une lignée, qui va de ce scénariste aux auteurs et autrices contemporaines, en passant ne serait-ce que par Fluide Glacial et L'Écho des Savanes ; et bien avant ces monstres, Les Dingodossiers écrivaient parmi les plus belles pages de l'humour glacé du temps.

   Culturellement, je pense la série indissociable du Petit Rapporteur, de Desproges et de sa clique, de Jean Yanne ; de toute cette génération qui avant, pendant et après mai 1968, s'essayèrent à réinventer l'humour plutôt que de traîner éternellement dans leur sac la "connerie de leurs aînés", pour reprendre une expression certes grivoise, mais non dénuée de toute vérité.

   Dire que Les Dingodossiers préfigurent La Rubrique-à-Brac, c'est enfoncer des portes ouvertes tant les séries se répondent thématiquement. Dire, en revanche, que Les Dingo... surpassent occasionnellement La Rubrique... est peut-être plus polémique, mais je le défendrais pourtant. Globalement, artistiquement, la seconde est supérieure aux premiers ; de cela, je ne discuterai point. Mais parfois, au détour d'une histoire, les premiers sont sans doute plus mordants, notamment dans leur parodie du "publi-reportage", et dans la portée politique du propos.

   Cela se fait certes nonchalamment ; mais il y a, dans la description des "pièges à touristes", des vieillards plénipotentiaires et ambassadeurs, dans l'ironie mordante de ce qui sera le progrès technologique, les voyages stellaires, les télécommunications, une grimace que Gotlib seul ne sait modeler. Au dérisoire du monde, Gotlib rigole à gorge déployée ; Goscinny lui fait mordre la main qui veut le nourrir.

   Cette hargne, bien entendu, Gotlib la reprendra, et la repoussera plus loin peut-être, dans les Rââ ; mais La Rubrique est sage en comparaison de certaines planches des Dingodossiers. Ils ont bien entendu vieilli, certaines références deviennent de plus en plus obscures à qui n'auraient pas vécu les événements : mais ils furent pendant quelques années ce qu'il y avait de plus proche de l'esprit du Mad Magazine en France (rappelons que Goscinny y aura fugacement travaillé jadis), ils étaient de la "bande dessinée pour adultes", là où La Rubrique, à ses débuts tout du moins, avec ses pélicans et ses Newton, se destinait davantage aux adolescents.

   Lire Les Dingodossiers, c'est plonger, de façon inédite peut-être, dans cette période étrange où De Gaulle va bientôt mourir, où Pompidou lui succédera ; où le divorce est encore une chose taboue, l'avortement plus encore ; où l'on s'ennuie ferme, où l'on meurt ferme, où l'on attend des jours meilleurs que mai 68, petitement, partiellement, étrangement, apportera. C'est une grenade goupillée, mais avec laquelle on jongle : c'est l'esprit de la révolte, entre deux jeux de mots terribles et une pensée sur les congés payés. C'est une lecture à faire, ne serait-ce que pour comprendre d'où viennent les fulgurances futures du regretté Marcel.

 

Commenter cet article