Braid (2008, Jonathan Blow)

Publié le par GouxMathieu

  Braid fait partie de ces jeux qui laissent une place indélibile dans le cœur et dans l'esprit. Il représente à mes yeux un choc, à la fois esthétique, intellectuel et éthique. Choc esthétique, car les graphismes et les musiques sont particulièrement enchanteurs ; choc intellectuel, car il s'agit d'un jeu aux énigmes particulièrement retorses et qui demandent une grande sagacité pour leur résolution ; choc éthique, car le jeu soulève de nombreses questions sur la vie de couple et la vie en général, thèmes finalement peu abordés dans le média.

 

  Commençons par le commencement. Braid nous met dans la peau de Tim, un petit bonhomme roux présentant bien qui, au début du jeu, part en quête d'une princesse enlevée par un odieux monstre. Tim et la princesse avaient l'habitude de vivre ensemble mais, à cause d'une erreur qu'il commit mais dont il n'a pas souvenir, celle-ci s'enfuit et tombe donc dans les griffes de son ravisseur. Notre héros n'aura de cesse de la retrouver tout en rassemblant ses souvenirs perdus et comprendre enfin pourquoi la princesse s'était sauvée.

  Ce fin canevas réserve bien des surprises, que je ne dévoilerai point ici pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui voudraient l'essayer, aussi ne parlerais-je que du système du jeu. Ce dernier en effet joue de façon exclusive sur le temps. Tim possède un pouvoir particulier, celui de manipuler le temps à sa guise. Il peut ainsi le remonter pour éviter une sinistre issue (ce qui fait que le jeu ne possède pas de séquence de "Game Over" mais cela n'enlève rien à sa difficulté) ou encore le ralentir. Tout le jeu se construit sur cette idée, et élabore nombre d'énigmes. Au fil de l'aventure ainsi, certains objets seront immunisés à ces retours temporels, le temps avancera ou reculera en fonction de nos mouvements ou une ombre singera nos dernières actions effectuées après un retour dans le temps.

  Les couleurs et les univers ressemblent à des tableaux pastels qui évitent les poncifs bien connus des jeux de plates-formes (le monde de glace, de feu, etc.) et nous proposent plutôt une ville sous la neige, une chambre d'enfant, des ruines antiques fantasmées. La musique n'est pas en reste, car il s'agit de morceaux choisis de célèbres violoncellistes contemporains (Jami Sieber, Shira Kammen) qui donnent un cachet particulier à cette atmosphère onirique.

  Mais Braid est indissociablement lié à sa narration, à la façon qu'il a de raconter une histoire. Dans sa quête pour chercher la princesse, de nombreux livres, comme posés par un démiurge absent, nous en apprennent davantage sur lui et sa recherche frénétique. Progressivement, la princesse passe au second plan et nous nous concentrons davantage sur ce personnage, qui prend des allures d'universel et le jeu, d'allégorie : et nous voilà, alors que nous jouons, en train de nous interroger sur la vie de couple, sur le fait que le monde serait formidable si l'on pouvait dire à son aimée, après que nos mots ont dépassé nos paroles, "Je ne voulais pas dire ça" et qu'elle répondait "Ce n'est pas grave, je comprends, tout est comme avant" ; ou encore que la quête de bonheur absolu de Tim peut l'amener à délaisser cette relation qu'il entretenait avec sa femme avant de chercher la princesse, erreur qu'il ne peut, hélas ! pas réparer car quoi qu'il fasse, le temps persiste à avancer inexorablement. Le slogan du jeu, "Et si l'on pouvait apprendre de ses erreurs sans en subir les conséquences ?" qui s'appliquait alors exclusivement au fait de ne pas mourir devient amer lorsque l'on songe à sa propre expérience de la vie.

  Il y a bien d'autres choses à dire de l'histoire de Braid, mais ce serait là raconter la fin avant le début et je m'en voudrais de gâcher le plaisir d'un certain. Essayez-le. Menez-le à terme. Soyez émerveillés. Jamais jeu vidéo n'avait concilié de façon si agréable énigmes diaboliques, scénario intriguant et éclaircissements allégoriques. Jamais.

  Ce jeu est non seulement un chef d'œuvre, c'est surtout une œuvre d'art. Et pour reprendre les mots d'Indiana Jones, "sa place devrait être dans un musée", aux côtés du Paradis Perdu de Milton et du Mithridate de Racine.

  Je n'ai rien d'autre à ajouter.

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