Georges Brassens (1921 - 1981)

Publié le par GouxMathieu

   Pour une fois, je m'en vais dédier une page de la section "Musique" non pas à un album, mais bien à un artiste en particulier. C'est, en réalité, qu'il m'est tellement difficile, mais je dois dire que je suis loin d'être un spécialiste en la matière, de distinguer plusieurs "cycles" dans la carrière de ce chansonnier. Aussi, je préfère considérer la chose comme un bloc, même si l'on pourra facilement arguer que je me leurre.

 

 

   De la même façon que pour Renaud, c'est mon grand frère, de dix ans mon aîné, qui m'initia jadis à Georges Brassens. Comme je l'appris depuis, ceux qui aiment l'un s'intéressent généralement à l'autre tant leurs univers se rapprochent, au point même que le premier reprit quelques unes des chansons de l'autre dans un album hommage. Cependant, je dois avouer que j'ai mis bien plus de temps à rentrer dans le monde de Brassens que dans celui de Renaud. Plus éloigné de notre temps je présume, plus lettré, plus réfléchi. Si la même énergie finit toujours par les habiter, l'"amoureux de Paname" explose bien plus rapidement, et bien plus facilement que "le mauvais garçon de Sète" qui apparaît davantage comme une crapule que comme un loubard. Cela se lit bien sûr dans leurs textes mêmes : si Renaud distille, au fur et à mesure de ses chansons, les bons mots et les jeux d'esprit, construisant des couplets certes forts mais qui délaissent la chute, l'écriture de Brassens est toute orientée vers la pointe italienne, celle mise en œuvre par Ronsard et du Bellay, qui renverse parfaitement les vers et le message de la chanson, à l'instar du Gorille qui apparaît, dans ses derniers mots, comme une amusante critique de la peine de mort.

   À cause de cela, ou grâce à cela, l'attention que l'on doit porter à l'écoute d'une chanson de Brassens doit être bien plus soutenue et bien plus vive : chaque couplet à son importance même si aucune expression, ou aucun calembour, ne surgit. Mais les mots s'enchaînent naturellement, le vers est bien construit, les rimes nous parlent. L'on pourrait comparer son style à celui d'un arc dont la corde serait perpétuellement tendue avant de brutalement lancer la flèche à la fin de la chanson, et de faire mouche. Et la tension musculaire y est palpable, cruelle même par endroit.

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    Comme tous les poètes, et comme l'aimait à le dire ma grand-mère, Brassens ne s'intéresse qu'à la mort, la sienne ou celle des autres, que ce soit sur un ton léger ou plus grave ; en cela, il se place dans une continuité littéraire bien connue, les poètes chantant l'amour étant souvent ceux qui écrivent la mort, l'image de Cassandre n'étant jamais fort loin de leurs plumes. Chez Brassens cependant, j'ai comme l'impression que la vie, que l'amour et le sexe - mettons un nom sur les choses - remportent plus souvent la bataille, à la façon de la reprise de Marquise où le dernier couplet, d'une pure invention, permet à l'aimée de faire un pied-de-nez au bon vieux dramaturge qui dormira seul ce soir-là.

    On garde également de Brassens l'image de l'anarchiste, de la "mauvaise réputation", du drapeau noir flottant sur les ruines de la guillotine. Certes, ce serait nier une grande part de sa carrière que d'affirmer le contraire. Cependant, Brassens conserve de bout en bout ce rire gras et rabelaisien qui l'empêche d'être considéré comme un pur provocateur, ou un pur politique selon moi. À la différence d'un Professeur Choron, par exemple, dont la provocation servait un message politique fort même si certains voudraient le réduire à une débauche scatologique et inutile, je n'ai guère de souvenirs de chansons précises où Brassens développe un discours continu sur l'anarchie ou la lutte contre la société de consommation. Certes, Hécatombe nous narre, avec brio, une querelle de village où les flics se font rosser mais comme le précise le parolier, "c'est un usage bien établi" : autrement dit, il n'appelle pas à la mort des forces de l'ordre mais ne fait que décrire un sentiment fort répandu sous nos contrées.

Je dirai davantage que l'anarchie de Brassens n'est pas arriviste ou pensée, elle est, comme celle du Professeur Choron encore une fois, parfaitement naturelle : La mauvaise réputation est bien de ce ressort. Il ne peut aller contre son inclination naturelle, il incarne l'anarchie normale des choses. Éternel Villon errant de bourgs en bourgs, toujours sur les routes sa guitare à la main, il chante les filles qu'il détourne des belles familles, fait l'éloge des prostituées ou du bon vin et sait que seule la corde l'attend à la fin de sa route.

   Mais avant que ce jour funeste n'arrive, il reprendra un peu de ce bon rouge, assis sur un banc de pierre longeant la mer, fumant une énième pipe et parlant du nombril des femmes d'agent. Georges Brassens, peut-être, a une image bien moins sulfureuse que celle d'un Renaud, d'un Ferré ou d'un Brel, même, et je me souviens pas avoir vu d'images de lui noyé dans sa sueur, sur scène. Mais cette "force tranquille" est ce que je retiens le plus de lui. Retenir une chanson de Brassens, c'est comme apprendre un poème de Verlaine : et je n'aurai d'espoir en l'école publique que le jour où les potaches sauront par cœur Le sonnet du trou du cul, ou Le Pornographe. 

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