Metal Gear Solid (1998 - 2008, Hideo Kojima)

Publié le par GouxMathieu

   Il y a des jeux vidéo qui marquent profondément le média. Qu'ils possèdent une ambiance particulière, un gameplay novateur, des graphismes ahurissants ou une histoire impressionnante, ce sont des jeux dont on parle très régulièrement et auxquels l'on fait référence dans nombre d'articles. Ils ont atteint ce que l'on pourrait appeller un statut de culte. Rares sont les jeux ou les séries qui parviennent à ce statut ; et parmi eux, seuls Metal Gear Solid et ses suites "canoniques" parvinrent  à une forme d'immortalité.

 

   Les connaisseurs auront remarqué que je fais référence ici à la série des "Solid", et non pas aux Metal Gear premiers du nom, sortis sur MSX et Nes. Je veux parler de la série indissociablement liée à la marque Playstation (avec, il est vrai, un écart sur Game Cube) et qui prit naissance en 1998. Si la série de Kojima est notamment connue pour son histoire et son ambiance particulière, il est paradoxalement délicat de faire un résumé en bonne et due forme de celles-ci. On peut même dire que résumer l'histoire de Metal Gear Solid (car il s'agit en réalité d'une seule et même épopée du troisième épisode -- le plus lointain dans la chronologie diégétique -- au quatrième -- l'épisode final) relève de la gageure. Ce n'est pas tant que l'histoire en elle-même est d'une complexité folle finalement, mais elle est racontée avec tant de subtilité et avec tant de mystère que le fil même de l'intrigue en est entortillée comme jamais. Du reste, essayer de raconter l'histoire de façon continue révèlerait un nombre incroyable de twists et autres secrets qui dégoûteraient toutes celles et tous ceux qui aimeraient un jour pénétrer au sein de ce monument du jeu vidéo. Ce serait, à proprement parler, révéler ce qu'est Rosebud avant d'avoir vu Citizen Kane.

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   Aussi, de l'histoire je ne raconterai que le prologue du premier épisode a avoir été commercialisé, Metal Gear Solid. Ce jeu vous place dans la peau de Solid Snake, un agent secret plus ou moins affilié au gouvernement américain (mais ni la CIA, ni le FBI... Il faut penser à quelque chose entre les RG et une ONG, et encore, l'on est loin de la vérité) envoyé en mission spéciale sur une île appelée "Shadow Moses", au large de l'Alaska. Sur celle-ci, une organisation terroriste possède un prototype d'une machine de guerre appelée "Metal Gear", possédant une force de frappe nucléaire et prête à lancer une attaque massive contre les nations du monde libre. Un seul homme, possédant une excellente condition physique, une connaissance aiguë du combat à ciel ouvert et de l'infiltration est capable de sauver la situation : Solid Snake, mercenaire au passé trouble.

   Que les puristes excusent cette mise en bouche des plus simplistes, mais je ne pouvais guère faire autrement : Metal Gear Solid est une série qui se "regarde" plus qu'elle ne se joue, qui se joue moins qu'elle ne se vit. Un parti-pris que je vais tâcher d'expliquer du mieux possible et qui possède autant de fanatiques que de détracteurs. Dans un sens ou dans l'autre, Metal Gear Solid est une série qui ne laisse aucunement indifférent.

   Prenons les choses dans l'ordre, et décrivons-la de son niveau le plus simple (le principe du jeu d'un point de vue ludique) au plus compliqué (son histoire et son intertextualité).

   Metal Gear Solid est avant tout le jeu qui a su populariser le genre dit "action/infiltration", genre déjà existant dans le passé mais qui a depuis connu une renommée sans précédent au travers de titres comme Splinter Cell ou Hitman, pour ne citer que les plus connus. Dans un environnement en 3D temps réel mais avec placement de caméras fixes, le joueur se doit d'atteindre un objectif, qui évolue en fonction de la progression du jeu, mais qui consiste le plus souvent à se rendre d'un point A à un point B. Bien entendu, de nombreux obstacles entraveront votre progression, à commencer par les gardes ennemis. Ceux-ci opèrent des rondes régulières dans les salles où vous avancerez, et tout le talent du jeu consistera à faire en sorte que votre trajet soit le plus discret possible : en effet, si les gardes vous repèrent ou repèrent quelque chose d'anormal, ou si encore une caméra de surveillance vous surprend, l'alarme est donnée et un nombre incroyable de gardes déboule alors pour vous faire la peau. Même s'il est possible de se cacher dans une autre salle ou ailleurs pour échapper à cela, le jeu ne vous encourage sûrement pas à vous faire surprendre.

   Libre alors à vous de faire en sorte d'utiliser tous les moyens à votre disposition pour vous faufiler sans bruit, en gardant à l'esprit que l'Intelligence Artificielle est particulièrement bien développée -- davantage bien sûr dans les opus successifs, mais même le premier épisode brillait de subtilité. Pour vous donner quelques exemples, les gardes sonneront l'alarme s'ils vous entendent marcher ou aperçoivent vos traces de pas dans la neige, s'ils tombent sur le cadavre ou le corps inconscient d'un des leurs, entendent des coups de feu, etc. etc. Chaque salle peut alors se concevoir comme une "micro-énigme" à résoudre avec deux objectifs : éviter de se faire repérer d'une part, et éviter de tuer des gardes de l'autre (l'on peut bien sûr avancer en tuant tout sur son passage, mais les munitions sont rares et le jeu note votre performance).

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   Ce qui a alors surpris à l'époque, et qui surprend du reste encore, c'est la non-linéarité de la résolution de ses énigmes. Allez-vous étudier la ronde des gardes et trouver un chemin optimal ? Allez-vous les endormir au moyen de tranquillisants pour passer sans problèmes ? Allez-vous vous en débarasser au fur et à mesure en cachant les corps pour ne pas éveiller les soupçons ? Utiliserez-vous les cachettes que la salle propose (casiers, tables, voire boîtes en carton) pour progresser à pas de loups ? Ou allez-vous créer des diversions en faisant du bruit à un endroit pour attirer les gardes, voire jeter au sol un paquet de cigarettes ou une revue érotique pour distraire les gardes ? Il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses, si l'on peut dire, et l'on peut même se dire, dans les opus récents, que seule votre imagination vous bridera dans vos actions.

   Cependant, l'intégralité du jeu ne se compose pas de ces seules phases d'infiltration, même si elles composent une grande partie des titres. L'autre grande composante qui a impressionné les joueurs à l'époque et qui continuent d'impressioner du reste sont les combats contre les différents boss du jeu. Chaque jeu oppose en effet le protagoniste à une organisation terroriste composée de plusieurs membres possédant tous une personnalité, une histoire et une façon de se battre qui lui est propre. Ces combats peuvnet durer plus d'une demi-heure et sont annoncées à grandes pompes par le biais de somptueuses cinématiques sur lesquelles je reviendrai. Ces confrontations pourraient presque être vues comme des "mini-jeux" tant elles sont sublimes : qu'il s'agisse d'affronter un télékinésiste qui parvient à lire à l'avance le moindre de vos mouvements, un tireur d'élite à la visée remarquable ou un "mort-vivant" intouchable, chacun de ses combats est une surprise à lui tout seul. Mis en scène de façon remarquable, ces séquences sont attendues avec délectation et elles parviennent à dégager une forme de poésie très étrange à laquelle l'on ne saurait être insensible.

   Mais bien entendu, impossible de parler de Metal Gear Solid sans évoquer l'histoire et la façon dont elle est racontée, que ce soit par le biais de cinématiques ou par les nombreux dialogues. Ceux-ci sont écrits et joués avec toute la qualité d'une grande production américaine et sont nombreux, très, très nombreux. Le joueur devient à proprement parler plus spectateur qu'acteur, dans la mesure où l'histoire est quasiment toujours relatée au moyen de ces scènes qui peuvent apparaître longuette pour le joueur lambda (cela se compte en heures sur l'intégralité du jeu). Mais il faut les accepter pour rentrer dans l'ambiance de ces jeux. Qu'elles parlent de l'histoire du jeu, des relations entre les personnages, de philosophie ou d'histoire, elles se lisent comme un roman. Elles sont cependant toujours justifiées et sonnent profondément juste, et ce même quand il s'agit de provoquer des pleurs ou de faire rire. Car, et c'est là la troisième caractéristique de ces jeux, les Metal Gear Solid, malgré leur ambiance sombre -- il s'agit de fictions militaires, avec une grande attention portée au réalisme des armes et des équipements disponibles -- malgré les morts et les blessures, malgré tout ceci, sont des jeux hilarants. Pour parler familièrement, je me suis "tapé des barres" en jouant à ces jeux, peut-être davantage qu'aucun autre. Mais il faut également reconnaître que cet humour passe surtout par le jeu constant que les titres tissent avec le monde des jeux vidéo.

   Pour parler rapidement, les Metal Gear Solid sont conscients d'être des jeux vidéo et s'en amusent. Les personnages "lisent" dans vos cartes mémoires, vous parlent à vous, joueur du jeu, en vous avertissant que la cinématique qui arrive va être très longue et que vous pouvez donc poser la manette, ou vous souhaite d'avoir sauvegarder car vous pouvez ici mourir en un seul coup ; ils vous recommandent d'éteindre la console ou crachent sur les graphismes des opus précédents. De là, et même si cela peut apparaître comme bien moins élaboré que dans d'autres jeux, ils mènent une réflexion sur le jeu vidéo, sur le statut des personnages, sur le concept de "mort" et tout ce qui s'ensuit. Bien souvent, il s'agit de jouer avec les codes des jeux vidéo, comme le fait de reproduire, pour vous tromper, un écran de Game Over ou exiger de vous, pour avoir accès à l'écran "option" (d'ordinaire accessible à n'importe quel moment d'un jeu de ce genre) d'attendre d'avoir accès à un ordinateur. Il fallait au moins ça pour accepter de lire des lignes et des lignes entières de dialogue. Mais une fois ceci fait, l'on comprend que tout le jeu doit se dire au second degré.

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   Metal Gear Solid fait partie des monuments du jeu vidéo. Fondateur à bien des égards et suivi d'une communautés d'adorateurs et d'ennemis; tout joueur se doit d'avoir au moins une fois dans sa vie terminé ces jeux. Ils sont devenus, au fur et à mesure des temps, ce qu'on peut appeler des chefs d'œuvre.

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