Lettres persanes (1721, Montesquieu)

Publié le par GouxMathieu

   Lettres persanes est de ces textes, de ces romans, qui ne me plurent point au commencement et qui, le temps allant, s'imprimèrent plus aigûment en moi. Sans y paraître, comme pour Vigny, ces lettres vinrent doucement s'installer en moi, plus d'ailleurs pour leur forme, que pour leur fond.

 

 

   Comme d'aucuns, mon premier contact avec ce roman caché fut scolaire, par l'étude de la très fameuse "lettre 30" et de cette formule, souvent citée, parfois mollement comprise, "comment peut-on être Persan ?" Mon professeur l'avait alors couplée avec l'ultime, dépeignant le suicide de Roxane, la première des épouses du sérail : on saura que les Lettres persanes sont une "espèce de roman", pour reprendre la tranquille expression de la préface autorale, avant d'être un récit d'idées.

   D'ailleurs, je pense l'avoir davantage pris, et le prendre davantage encore, comme un roman épistolaire plutôt que comme un texte d'idées. L'esprit de Montesquieu ne me plaît guère, je lui trouve trop de sympathie pour la théorie des climats, et ce racisme géographique tristement temporel. Montaigne affecte une distance plus cynique là-dessus ; je préfère cette montagne à l'autre.

   Mais en qualité de roman en revanche ; dans cette vengeance, même froide, de la favorite sur ses "maîtres" ; là, je me retrouve davantage. Le genre épistolaire est loin de faire partie de mes favoris, qu'il s'agisse de Crébillon ou de Laclos ; plus il affecte la sincérité, moins je le trouve vrai ; plus il se pense intime, moins je m'intéresse ; s'il imite le vrai, je le trouve faux. De loin, je préfère encore la tradition antiquisante de ces lettres, Gargantua à la Portugaise ; c'est ainsi.

   Il y a alors, dans ce théâtral échange entre le harem et Usbek, cet orientalisme d'opérette qui m'avait tant plu, jadis, en dévorant Bajazet ou Othello ; j'ai pleuré de sincères et chaudes larmes à la mort des unes, je me révoltais de la violence des uns ; j'espérais secrètement un Lysistrata, je n'aurais qu'un drame, qui me plut cependant, que je relis avec plaisir toujours.

   C'est curieux, quand j'y songe. Ces Lettres furent un canular, elles eurent du succès car on les pensait véritables ; bientôt, la vérité se fit jour, on les apprécia pour les théories "nouvelles" qu'elles avançaient ; des générations de potaches, d'enseignants et de professeures d'ainsi le présenter ; et moi, arrivant en bout de ligne, de rejeter ces beaux frontons et de réclamer de la littérature.

   On choisit ses classiques, et on choisit la façon de les prendre. Qui m'accusera de mal lire, qui me reprochera de prendre les Persanes "comme une espèce de roman", quand je suis dans la tranquillité de mon sofa et non face à la sagacité de mes ouailles ? Je lis comme l'on mange une amande : je garde la chair, et je laisse la peau.

 

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