Les Robins des Bois (1996 - 2006)

Publié le par GouxMathieu

   J'avais déjà eu l'occasion, en parlant du film Eh mec ! Elle est où ma caisse ? d'évoquer mon affection pour "l'humour con". Il est une troupe de comédiens qui représenterait on ne peut mieux, pour ma génération, ce type d'écriture composée surtout de calembours stupides, de blagues surréalistes et d'absences caractérisées de chutes : Les Robins des Bois.

 

   Si les compagnons de mon âge connaissent extraordinairement bien les travaux des Nuls, des Inconnus ou des Monty Python, nous les avons surtout découverts par l'intermédiaire des rediffusions, de la bouche de nos grands frères ou de nos grandes sœurs et, pour un certain nombre de parodies ou de références, nous ne connaissons pas les œuvres originales dont elles se réclament. Aussi, ce qui s'est le plus approché de ceux-ci dans la deuxième moitié des années 1990 et au début des années 2000, ce fut cette troupe composée de Maurice Barthélémy, de Marina Foïs, de Pascal Vincent, d'Élise Larnicol, de Pierre-François Martin-Laval et de Jean-Paul Rouve.

   De la même façon que pour les Nuls, baptisés ainsi suite à leur Objectif: Nul qui les a fait connaître, c'est par l'intermédiaire de leur pièce iconoclaste Robin des Bois, d'à peu près Alexandre Dumas qu'ils trouvèrent leur nom de scène. De la chaîne Comédie! à Canal + jusqu'au film RRRrrrr!!!, ces six artistes auront traversé un peu plus de dix ans de télévision avec plus ou moins de succès, plus ou moins de reconnaissance, plus ou moins d'émules. La très grande variété de leurs talents, de la parodie de films ou d'émission télévisuelle jusqu'à l'improvisation parfaite en passant par les cascades plus ou moins dangereuses, fait que l'on y trouve à boire et à manger et il paraît difficile de dire j'aime ou je n'aime pas les Robins des bois : pour se faire une idée, il faut tout voir, tout lire et faire ainsi son marché.

   Il existe, cependant, de grandes constantes dans l'œuvre des Robins : des personnages, interprétés par un comédien à chaque fois (Monsieur Merdocu pour Pierre-François Martin-Laval, Sophie Pétoncule pour Marina Foïs, Father Tom pour Maurice Barthélémy, etc.) ont leur moment de gloire personnalisé lorsqu'ils ne s'invitent pas un peu partout ; chacun des membres, indépendamment du personnage qu'il interprète, possède une caractéristique qui fonde son identité, que ce soit sa laideur, sa perversion, son manque de talent. Car, et c'est là, je pense, l'une des marques de fabrique des Robins des Bois, ils aiment à écrire sur le bris du quatrième mur, sur le paradoxe de l'acteur, sur la frontière floue entre ce qui est écrit et ce qui ne l'est pas.

   Très régulièrement les personnages interpellent les acteurs qui se griment, ou encore ceux-ci sont en coulisse et viennent rompre "l'illusion théâtrale" en révélant un trucage ou une impossibilité matérielle, une erreur dans le texte, un jeu maladroit, tant et si bien que l'on se prend à douter si ce fou rire est sincère ou non ou s'il était prévu que ce bout de décor tombe sur l'un ou l'autre. En définitive, rien n'a plus aucune espèce d'importance : l'on est pris dans un maelstrom d'approximations linguistiques, de calembours improbables, de situations inextricables.

   Le caractère surréaliste de l'écriture des Robins des Bois a ses fans comme ses détracteurs, et il est vrai qu'il faut souvent savoir baisser sa garde pour apprécier tout ce qu'on nous offre. Comme je le disais dans mon article sur "l'humour con", l'écriture des Robins travaille au corps, une blague après l'autre, des plus subtiles aux plus grosses, des cascades et des gifles données : il y a là un mélange de vaudeville, d'expressionisme, d'absurde, de méchanceté gratuite et violente, tout cela en même temps dans un chaos et un brouhaha ignoble qui n'est pas sans faire penser aux jeux d'enfants, à ces batailles de terrains vagues que nous dépeint Le petit Nicolas. Témoin, "La cape et l'épée" où l'on assiste au quotidien d'une cour royale fantasque et dont les rôles sont tenus par des enfants de dix ou onze ans, à la voix et aux références d'adulte cependant. 

   Les Robins des Bois, c'est le charme décalé de ces bandes dessinées de Gotlib et de cet humour "glacé et sophistiqué" qui aurait oublié d'être sophistiqué cependant, ou qui ne s'en rappellerait que lorsqu'il est trop tard, après que le rideau est tombé.

   Aujourd'hui, les Robins sont bels et bien séparés, et certains d'entre eux ont, depuis, fait une belle carrière en solitaire : après plusieurs apparitions en tant que "seconds rôles", ils ont su passer derrière la caméra pour plusieurs films qui ont su étonner la critique, en bien comme en mal mais que je regarde toujours avec plaisir. Casablanca Driver (Maurice Barthélémy) est incroyable, Filles perdues, cheveux gras une comique musicale hilarante et triste tout à la fois, Essaye-moi de Pierre-François Martin-Laval montre quant à lui la filiation directe de l'acteur avec Pierre Richard qui, par moments, s'approche des grandes heures des Jacques Tati ou des Groucho Marx d'alors. C'est peut-être encore Jean-Paul Rouve qui est le plus connu de tous, notamment par l'intermédiaire de son rôle dans Monsieur Batignole ce qui lui permettra d'être récompensé du César du Meilleur Espoir Masculin en 2003 ; mais je retiens surtout son travail sur Sans arme, ni haine, ni violence qui romance le "hold-up du siècle" d'Albert Spaggiari.

   RRRrrrr!!!, l'histoire du premier meurtre de l'histoire de l'humanité qui se veut, du moins en esprit, un équivalent "préhistorique" du Holy Grail des Monty Python (dans la première monture du scénario ainsi, Scotland Yard venait arrêter ledit meurtrier à la fin du film), représente peut-être dans une forme un peu plus "carrée" la quintessence de l'esprit des Robins des Bois, de la même façon que La Cité de la peur était, jusqu'au bout des ongles, "Le film de Les Nuls". L'on y retrouve leur jeu absurde sur le rôle de l'acteur, des dialogues sous substances illicites, des cascades stupides, des anachronismes à la pelle.

   Le film, évidemment, fit un flop tant chez les critiques qu'auprès du public. Je ne crois pas, cependant, que cela soit dû à son écriture ou à son jeu, à ses idées : mais bien au style même de la troupe. Je gage, cependant, que certains critiques furent également atterrés par La Cité de la peur, et avec raison : mais avec le temps, il est bien possible que RRRrrrr!!! atteigne ce rang culte qu'il mérite malgré tout. En tous cas, il reste une porte d'entrée fondamentale dans l'univers si particulier des Robins des Bois qui ont marqué, bon gré mal gré et qu'on en soit marri ou non, l'histoire de l'humour "à la française" et dont on commence à peine à mesurer l'influence.

   "Moi, quand je fais une critique des Robins, je joue de la flûtine, ça me revitalise."

Commenter cet article