Holy Diver (1983, Dio)

Publié le par GouxMathieu

   Étrangement, et malgré mon amour de la chose, je n'aurai que peu parlé de Heavy Metal ici. J'ai parlé de classic rock ; de rock expérimental ; psychédélique ; de hard rock ; du chef d'œuvre du genre ; mais point de Metal. Je suppose, quelque part, que cela est lié au temps passant : je fus grand amateur jadis, j'ai ouvert mes horizons à présent. J'y reviens cependant, et quoi de mieux pour commencer que de parler de Holy Diver, que je considère être le plus grand album de Heavy Metal de tous les temps.

 

   Lorsque Ronnie James Dio nous laissa, en 2010, une grande tristesse traversa mon corps. Rarement la mort d'une figure publique me fit-elle cet effet ; mais ici, je ne pouvais faire autrement qu'être sincèrement touché par celui qui, plus d'aucun, balança mes longs cheveux blonds. On connaît ses faits d'armes : ancien membre des Black Sabbath, il popularisa dans cet univers codé le fameux signe sataniste et introduisit l'heroïc fantasy dans sa mythologie. Sans lui, point de Rhapsody of Fire, point de "Love is All". Sa voix, reconnaissable parmi mille, donne des frissons jusqu'au creux des reins ; sa démarche désarticulée, dans laquelle on peut reconnaître parfois David Bowie, nous transporte et nous entraîne avec lui dans une folle farandole dans l'enfer de Dante. Dio était, est, le Roi intouchable du heavy metal et on appréciera alors l'hommage rendu par Jack Black dans The Pick of Destiny dans ce qui est, peut-être, l'un des meilleurs morceaux du film.

   Je ne surprendrai pas ici en parlant de Holy Diver, le plus populaire des albums du groupe et le plus régulièrement cité quand on en vient à l'évoquer. Comment pourrait-il en être autrement ? Chaque morceau de cet album est magistral, évident, formidable, à la fois programmatique du groupe, mais programmatique également du genre dans lequel il s'inscrit : si l'on devait initier quiconque au metal, l'on gagnerait à lui faire écouter Holy Diver, ouvrage somme qui continue aujourd'hui encore d'étonner.

   Je ne parlerai pas de toutes les pistes de cet album, mais de quatre d'entre elles seulement qui retiennent davantage mon attention. Commençons par la chanson liminaire, "Stand up and shout!". J'aime à la croire devise des adolescents, et c'est du moins comme cela que je la prenais quand j'avais des quinze ou seize ans. L'on associe souvent le rock, sous toutes ses formes, à la rébellion, à la révolte, à la revendication. Effectivement : on se souviendra de sa naissance dans les racines du blues, la musique des esclaves, et la façon dont un chanteur comme Elvis a pu accompagner les grandes avancées sociétales de son temps, ou encore comme le rock psychédélique est indissociable du mouvement s'opposant à la guerre du Viêt-Nam. Avec ce morceau, l'on se lève et on crie, effectivement : rien ne nous arrête. Loin du posé de la musique classique ou des divagations brumeuses du jazz, le Heavy Metal va plus loin encore que le classic rock : il ne s'agit pas de se révolter, il s'agit de crier sa révolte ; il ne s'agit pas de demander, mais d'exiger ; on n'attend point, on part au combat.

   "Don't Talk To Strangers", qui débute comme une balade agréable, semble pourtant aller à l'encontre de ce principe : "ne parle pas aux étrangers, nous dit-on, ils te feront du mal ; ne rêve pas des femmes : elles te détruiront"... Et la voix métalleuse et métallique, de répondre : "Je fais ce que je veux !". Je suis dangereux, je suis l'étranger : je parlerai, chanterai, danserai, séduirai. Je respirerai le parfum des fleurs, en écho à l'Horace : je serai libre. Que la ballade est belle, que le riff est décoiffant ! C'est peut-être là que les talents vocaux de Ronnie James Dio se révèlent le mieux, entre la sussure du matin timide de printemps et la voix portée du grimaçant démon ; on se rappellera que Dio fut membre du groupe Heaven & Hell, comme si ce couple opposé, l'Apollon et le Dionysos, l'attirait depuis toujours.

   "Rainbow in the Dark" vient ensuite dans ma playlist : son début est étrange, bizarre. Le riff métallique s'associe à une forme de ritournelle propre aux années 1980 et qui fait penser, légèrement, à du Van Halen ("Jump"). Celle-ci disparaîtra rapidement, et les paroles montent. L'arc-en-ciel dans le brouillard, vous voilà : la magie disparaîtra. Votre dimension humaine, remplie de désirs, de démons, de mal-être et de pulsions sadiques est plongée dans ce monde civilisé et difficilement compréhensible. Capable du grand comme de l'étroit, du brillant comme du mat, vous étincelez dans la pénombre mais sans jamais pouvoir vous arrêter. Je veux de la magie, je veux de la gloire : l'éclair pourfendra les nuages sourds. À nouveau, comment l'adolescent que j'étais ne pouvait-il pas se reconnaître ici ? Ronnie James Dio fit ce que personne n'avait fait pour moi : me présenter ce monde complexe sous une forme manichéenne et simpliste, et tracer une ligne au sol. Ici, le petit et le sale ; là, la lumière et la couleur. Traverse, sans oublier tes propres démons : il te faudra les vaincre, non les ignorer.

   Arrive alors "Holy Diver", qui donna son nom à l'album entier et qui embrasse précisément ces problématiques. Le message est crypté, on nous le rappelle régulièrement : "Don't you see what I mean?". Il faut alors faire attention : l'adolescent est certes révolté, mais il respecte ceux qui le respectent, et ceux qui peuvent lui apprendre à mieux vivre. "Race for morning", vis, poursuis, cours : loin est l'horizon, mais tu pourras te reposer entre temps. Les mensonges et les stratagèmes, la mascarade, t'empêcheront d'avancer : il te faudra l'aide du tigre, méchant mais inoffensif, cruel mais tendre, pour pourfendre les faux prêtres qui te feront prier pour mieux t'endormir. La chanson, rapidement, devient une forme de psalmodie, étrangement devient une autre forme de prière : au curé de la croix, on a préféré l'haruspice démoniaque. Mais parce qu'il préfère les flammes ardentes à l'eau bénite, parce qu'il regarde la mort en face et non la face contre terre, parce qu'il est puissant et que son bras porte, nous l'écoutons, nous nous rangeons à sa suite. Instinct païen sans doute, cruellement libérateur quoi qu'il en soit.

   Au terme de la traversée de cet album, je pense que nous sommes devenus plus sages. Mais cette sagesse n'est pas reposée, calme, tranquille : elle est énervée, turbulente, tonitruante. C'est le cri du fou du désert, c'est l'explosion de l'anarchiste qui voit la vérité : c'est le Heavy Metal, en un mot, et voici son chef d'œuvre.

Commenter cet article