Les Indestructibles (2004, Brad Bird)

Publié le par GouxMathieu

  J'aime les super-héros. Depuis toujours en réalité : et que ce soit ceux de Marvel ou ceux de DC, j'ai une affection particulière pour ces chevaliers des temps modernes, habités de pouvoirs fantastiques, capables d'une grande intelligence, faisant face à des dangers toujours plus menaçants. Mais au fil du temps, et sans renier mes amours passées, je me suis aperçu que ce que j'aimais en eux s'était légèrement déplacé : et si, étant plus jeune, j'aimais surtout leurs aventures, à présent j'apprécie davantage ce qu'ils sont réellement.

 

  Cela n'est pas nouveau et même, c'est un thème de plus en plus présent dans les productions diverses qui traitent de cette mythologie, que ce soient les films, les bandes dessinées ou, comme ici, les films d'animation. La question de l'identité secrète qui renvoie à celle du double, de la dissimulation, de la gestion de ces figures. Peut-être est-ce dû au fait que l'Internet a permis à tout un chacun de se fabriquer une "fausse identité" à l'instar des Batman et autres Spiderman, à renforts d'avatars et de blogs : et on peut sans problème aucun discuter, s'afficher, avoir une vie sociale très distincte de celle que l'on aborde réellement dans la vie quotidienne. On peut se souvenir de cette campagne de publicité télévisuelle où l'on voyait des adultes divers montrer des marques de déférence extrêmes devant un garçonnet de six ans peut-être, qui portait son pseudonyme sur son T-shirt : révolution pour les uns, sujet de réflexion pour les autres.

   Il y a deux sortes de super-héros dans le monde des comics. Il y a ceux qui sont nés humains et qui, par accident ou choix, développent des pouvoirs et donc mettent un masque pour agir sans compromettre leurs identités véritables : qui Bruce Wayne, qui Peter Parker, qui Barry Allen. Et il y a ceux qui sont nés possédant ces pouvoirs et qui mettent un masque pour se dissimuler parmi nous : qui Superman, qui les x-men. Et la famille des Indestructibles (Incredibles en version originale) de répondre de cette seconde catégorie.

  L'univers dystopique, peut-on dire presque, du film a quelque chose des Watchmen : c'est là un monde qui ne veut plus des super-héros, car ils sont incontrolables, produisent de nombreux dégâts et sauvent les gens contre leur volonté... Hancock s'inspirera de cela quelques quatre ans plus tard. Contraints de se dissimuler et, surtout, de ne plus intervenir en quoi que ce soit, ils tentent de s'adapter. Mais étant donné que leurs pouvoirs sont source de désagrément et qu'ils ne peuvent les utiliser, la frustration les gagne. Un jour pourtant, l'on propose à Robert Parr, alias "Monsieur Indestructible" de reprendre, pour les comptes d'une organisation militaro-scientifique, ses anciennes activités.

  Ce que j'apprécie beaucoup dans ce film, c'est le pari qu'il fait, et qu'il remplit parfaitement du reste, de cumuler les genres et les thèmes. Ainsi, la dernière demie-heure peut se regarder exclusivement comme le final de n'importe quel film d'action, où les buildings explosent et où le monde est finalement sauvé ; le mi du film s'aborde plutôt comme un film d'espionnage, avec infiltrations et ordinateurs piratés ; son début annonce, au contraire, une thématique psychologique. Mais ce qui est fascinant, et qui relève d'un véritable talent d'écriture et de mise en scène, c'est la façon dont les choses se coordonnent de façon logique pour donner non pas un patchwork multipliant les intrigues, mais bel et bien un animal d'une certaine étendue, possédant un début, un milieu et une fin, si je puis paraphraser Aristote.

  On s'aperçoit ainsi que le film se lit à plusieurs niveaux. Si l'on considère ainsi le premier niveau, l'on s'aperçoit qu'il peut s'appliquer à la façon dont n'importe quel super-héros passe de l'anonymat à la reconnaissance, et l'on ne peut s'empêcher de penser à Batman Begins : un individu lambda suit un entraînement pour gagner en force, et fait ses premiers faits d'armes véritables en toute discrétion, avant de finalement s'afficher ; ainsi, l'individu nommé devient justicier mystérieux.

  Le deuxième niveau de lecture intervient lorsque l'on s'aperçoit que le prémisse donné plus haut est biaisé, puisque le processus a déjà dû être appliqué par M. Indestructible dans le "pré-film" : et l'on voit donc ainsi en début ce qui advient lorsque, volant trop haut du soleil, il se brûle les ailes. Revenu à l'anonymat qu'il fuyait, plus anonyme et incertain que lorsqu'il portait un masque, il regagnera paradoxalement non pas son identité secrète, mais sa véritable identité : ainsi, l'individu anonyme devient justicier nommé.

  D'autres niveaux viennent s'ajouter, et plutôt que de s'empiler, ils se juxtaposent : le thème, ainsi, du couple et du "démon de midi" ; la vie familiale, entre protection des enfants et faire en sorte qu'ils s'épanouissent ; celui de l'orgueil et de la reconnaissance, est-ce que l'individu doit passer avant la communauté (puisque c'est un film anglo-saxon, la réponse est bien entendu "non", mais il a le mérite de reformuler la question), etc. etc.

  Le rendu final est on ne peut plus plaisant et intriguant. On peut avoir peur qu'à trop embrasser, on étreint mal : le contraire se produit, et le film se paie même le luxe de produire une réflexion sur le mythe des super-héros eux-mêmes en tant qu'iconographie, en pointant du doigt des stéréotypes divers, de la cape des héros au monologue des super-méchants, etc. etc.

  Véritablement, sans doute la production Pixar que j'apprécie le plus à ce jour, talonné de près par Toy Story 3, dont je reparlerai sans doute un jour ; et sans nul doute dans mon "Top 10" des meilleurs films d'animation de tous les temps.

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