Epic Rap Battles of History (2010 - en cours, Nice Peter & EpicLLOYD)

Publié le par GouxMathieu

   De tous les genres et sous-genres que peut compter la musique, le rap est, peut-être, celui qui m'attire le moins. J'ai raté le coche jadis, quand NTM et IAM défrayaient les chroniques, et j'écoutais déjà les Beatles et Frank Zappa ; et ma révolte s'est faite par le rock'n roll avant toute autre chose. J'ai depuis tâché de rattraper mon retard, et si ce n'est quelques morceaux ci et là, je suis loin d'être convaincu... Nonobstant le projet Epic Rap Battles of History.

 

   Connaître cette émission de Youtube n'est guère méritoire : elle fait partie des plus populaires de ce canal, parmi le top 20 des plus souscrites. Mais je pense son succès non seulement mérité, mais même évident. Donnons le concept : il s'agit de faire s'affronter, au cours d'une battle de rap, deux personnages issus de l'histoire passée, contemporaine, réelle ou fictive. Staline, Dark Vador, Zeus, Sherlock Holmes, Barack Obama, Clint Eastwood... s'affrontent alors dans cet exercice tout particulier.

   Une "battle" est, efficacement, un duel fort codifié du rap qui n'est pas sans faire penser aux combats d'insultes de Monkey Island, toutes proportions égales par ailleurs. Deux rappeurs improvisent leurs paroles et leur "flow", et il s'agit de faire valoir ses qualités tout en pointant les défauts de l'autre, et répondre de façon adéquate. C'est là le summum de la répartie et du mot choisi, l'épreuve du feu : le rap est un art de la parole avant d'être un art de la musique (même si des choses brillantes y sont faites par ailleurs), et il n'est jamais, alors, que le fils lointain de ces querelles d'auteurs qui se répondaient, de sonnet en billet, souvent irrespectueux et matamores.

   L'une des originalités de cette émission, c'est encore que ce sont les spectateurs qui viennent proposer les futurs duels : et l'imagination des internautes est sans égale. Rapidement d'ailleurs, on leur imposa, dans cet exercice, une bravade qui à elle seule devait juger de leur intelligence : "Dark Vador vs. Adolf Hitler". Loin de louvoyer et de partir au loin, ils relevèrent le défi, avec intelligence, irrévérence et subtilité. La légende était faite, il ne restait plus qu'à poursuivre.

   Avec le temps, on eut même l'occasion de voir apparaître des "guests", chanteurs et musiciens de talent, pour incarner tel ou tel personnage. Je ne citerai ici que Weird Al qui se grima en un Isaac Newton criant de vérité. Si reproche l'on pourrait faire ici, c'est, parfois, le peu d'accessibilité de certains duels : il s'agit du représentant d'une belle culture étatsunienne, et certaines références, Bill Nye, Oprah ou Ellen, d'appartenir à un fonds commun mais parfois inacessible à d'autres. On se renseignera alors, et on bénéficiera alors des sous-titres toujours présents dans les vidéos, ne serait-ce pour se piquer un peu d'argot et d'insultes choisies qui viendront, chemin faisant, enrichir nos vocabulaires.

   Mais ces duels, déjà et pour certains, d'être déjà fameux : "Steve Jobs vs. Bill Gates", qui se termine étrangement sur une déclaration d'amour des deux anciens et véritables amis ; "Michael Jackson vs. Elvis Presley" qui épingle à tour de rôle les nombreuses vies de ces chanteurs de génie tout en reconnaissant l'influence primordiale du premier du second ; "Rasputin vs. Stalin", qui introduit au fur et à mesure Lénine, Gorbatchev, Poutine, et retrace plus d'un siècle d'histoire russe, reader's digest à destination des étudiants fainéants, si je me pique de pléonasme.

   Epic Rap Battle of History est une œuvre d'importance et aux multiples lectures. Pour l'intelligence de son concept, tout d'abord ; pour l'intelligence des répliques et des paroles, pour le jeu d'acteur et les numéros de danse ; mais aussi et surtout, pour l'étape décisive qu'elle représente pour le microcosme Internet et Youtube en particulier. Avec ceci, ce qui était initialement un site de partage de vidéos en ligne devient le fameux adversaire de la télévision que chacun craignait. C'est le début d'une révolution, la naissance d'un média : par le passé, il y a eu Orwell et la radiophonie, plus tard, sans doute, la télévision et des événements décisifs, un pas sur la lune, une poignée de mains historique, d'avoir hissé ce petit écran au sommet de notre société.

   Un nouveau challenger est arrivé : et sans le savoir, nous sommes entrés dans le troisième monde. Le rap est la musique de la révolte : et il fallait bien ça pour entrer dans l'histoire.

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