Germinal (1885, Émile Zola)

Publié le par GouxMathieu

   Plus je vieillis, plus je penche à gauche. J'avais déjà commencé assez loin ; mais la pente m'accélère. Zola, sans doute aucun, a participé dans mes années adolescentes à ce mouvement même si je ne l'exprimais pas ainsi. C'est une belle histoire, voilà ce que je voyais tout d'abord.

 

 

   Il y a dix ans, maintenant, je parlais du Bonheur des Dames. Je pointais du doigt telle ou telle chose que je n'aimais pas chez l'auteur, en style et en école : mes critiques demeurent pour l'essentiel, mais je me suis assoupli depuis. C'est qu'avant, j'avais des opinions fortes et arrêtées sur la littérature ; à présent, j'ai des opinions fortes et arrêtées sur la personne que je veux être. On grandit, pour ainsi dire.

   Je ne situe pas précisément ma lecture première de Germinal. Au collège ou au lycée, je me souviens avoir lu le fameux incipit ("Dans la plaine rase..." etc.), que je donne souvent à mes élèves dans mes cours de grammaire de texte : on y trouve beaucoup de choses utiles, et j'y reviens souvent. Ma lecture de l'œuvre devait être, je pense, juste avant mon baccalauréat ; il s'agissait de mon second Zola, juste après L'Attaque du moulin que j'avais trouvé à deux francs quelque part.

   C'est toujours étrange, pour moi, de lire les romans du 19e siècle. Il y a une proximité de distance, un éloignement intime qui ne déroute toujours un peu. Avant ça, la société était comme toute différente avec la Monarchie ; les sujets et les enjeux, les discussions, tout cela demandait malgré tout un effort de recontextualisation. Mais pour le 19e siècle, c'est différent ; je comprenais tout, mais l'étrangeté était néanmoins là.

   Ainsi, la vie dans les mines, l'exploitation, la souffrance, la misère. Je ne la vivais pas, ou du moins pas sous cette forme-là, mais je voyais immédiatement cet univers. Peut-être avais-je même, en fouillant assez loin dans la généalogie, un ou une ancêtre qui avait vécu dans la région, qui avait connu cette vie, qui en était morte ou qui avait survécu. Nous sommes une seule famille.

   Je me rappelle, surtout, de cette fin étrange, de cette métaphore joyeuse qui faisait des mineurs des graines promptes à germer, qui renvoyait Lantier sur la route et vers le syndicalisme, où ils étaient tous frappés, et où tous tombaient. J'avais des émotions complexes ici. D'un côté, tout le monde ou presque était mort ; on avait tiré sur les misérables ; les riches restaient riches, les pauvres étaient encore plus pauvres.

   Et puis, malgré tout ; on avance. Malgré tout, on sait ce qui se passe. Malgré tout, les idées progressent. Sur l'instant, on croit que tout est perdu ; qu'on ne va nulle part. Il est vrai que les choses, souvent, ne sont pas assez rapides. Mais toutes les routes mènent à des chemins ; et les chemins, à des pays. Et ces pays, peut-être, à la justice et à la liberté.

 

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