Au Bonheur des Dames (1883, Émile Zola)

Publié le par GouxMathieu

    Zola fait partie de ces grands auteurs pour lesquels je n'ai jamais eu d'affection particulière. La faute à quoi, la faute à je-ne-sais-quoi ; dans cette quête naturaliste qui était la sienne, il me manquait sans doute l'ironie mordante d'un Flaubert. Et puis, je revins au Bonheur des Dames ; et si mes critiques premières sont encore là, je me suis volontiers apaisé avec le temps.

 

   Car s'il est, malgré tout, quelque chose que je n'enlèverai à ce brillant auteur, c'est son talent narratif que d'aucuns pourraient juger "sec" au sortir des lectures romantiques : et on se laisse volontiers porter, ici, par le personnage de Denise. De la même façon que le destin de Lucien m'avait plu, chez un autre, ici, je n'ai su faire autrement que de m'attendrir, et de me trouver des patiences, pour cette provinciale venue tenter sa chance dans le grand Paris. Ces histoires de petites gens attirées par les lumières capitales me plaisent, on le saura, car en y voyant de loin et en plissant les yeux, je crois m'y discerner : et peut-être même davantage que dans Illusions Perdues, je puis dire que je comprends les réactions de Denise, ses forces et ses faiblesses, ses doutes, ses illusions. Que n'ai-je eu, moi aussi, à souffrir les moqueries et les quolibets et continuer, encore, espérant des lendemains rieurs !

   Aussi, et que l'on me pardonne, c'est avant tout comme un roman (cela en deviendrait presque une insulte aujourd'hui, comme ce le fut il y a fort, fort longtemps) que je lus cette pièce. Et jusqu'au bout, dois-je dire, je ne sus trop quelle en serait en l'issue : je me pris à vouloir ardemment la victoire de cette acharnée, et de voir Mouret danser autour d'elle comme un papillon autour d'une lampe, à la fois attiré et peureux d'y brûler.

   Mais, évidemment, ce qui acheva de me convaincre, ce fut le discours politique entourant l'apparition de cet ogre, de ce monstre qu'est Le Bonheur des Dames. J'ai lu ci et là que Zola était obnubilé par les images de gloutonnerie, que rien ne lui faisait davantage peur que l'ensevelissement ; et tout comme il le fera, peu après, pour le Voreux, le magasin de se transformer en créature tentaculaire, en cancer dévorant peu à peu Hommes et maisons, sans limites et sans scrupules. L'ami du socialisme - dans le sens qu'on l'entendait au XIXe siècle, bien entendu - que je puis être a été flatté de ce discours anti-capitaliste, du moins, montrant ses dérives et ses plus mauvais côtés.

   Ce que je reproche peut-être, en comparaison avec Germinal encore une fois, c'est sans doute le manque de perspective. Certes, je suis en grand accord avec cette vision des choses ; et loin de moi l'idée de donner des excuses au capitalisme. Mais derrière lui, il y a des hommes et des femmes, des enfants ; avec leurs envies, leurs peurs, leurs besoins ; leurs orgueils et leurs bassesses. Et la chose, ici, m'a paru bien trop manichéenne. Il y a bien un rien de nuance, ci et là : mais tellement dilué qu'on la croirait homéopathique. C'est là, alors, que je me souvins d'une autre obsession de Zola : l'hérédité, l'atavisme.

   Comment ! Un gène, une race, d'expliquer faits et gestes, caractères, envies, besoins ? Ne sommes-nous pas des êtres sensés, remplis de contradictions ? Je veux bien croire que le positivisme d'alors faisait son chemin ; et mes années de faculté de m'apprendre le quand et le comment, de me replacer dans l'époque. Mais il est des moments où la science doit plier devant l'émoi, où la vérité doit s'effacer devant la force : et Zola de ne jamais me transporter comme d'autres peuvent le faire.

   Bah, je l'excuse volontiers... Quand on me fait pleurer comme devant la mort de Geneviève, je ne comprends même pas pourquoi je m'avance à critiquer quoi que ce soit.

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