Super Meat Boy (2010, Team Meat)

Publié le par GouxMathieu

   Il y a de cela quelques temps, j'avais parlé, assez sévèrement je dois dire, du jeu dont il est question cette semaine. Si je maintiens les défauts que je lui trouve et que je vais, par la suite, égrener encore, je m'en vais peut-être ici me faire l'avocat du diable ou, tout du moins, les envisager comme des qualités. Car refaisant le jeu depuis, le temps passant, l'âge allant, je me suis sans doute adouci.

 

   Je ne ferai pas l'affront, comme à mon habitude ici, de revenir sur la genèse et la formidable popularité de Super Meat Boy. De la même façon que Braid en son temps, SMB, que l'on ne confondra bien évidemment point avec un autre, a eu une influence incomparable sur son média et a ouvert la voie à toute une façon de jouer et de considérer la plate-forme jusque là rarement entrevue. Il est vrai que l'on peut toujours citer des ancêtres géniaux, mais il faudrait être d'une mauvaise foi certaine pour nier tout ce que ce petit bout de viande a pu apporter à son genre : c'est une chose d'être le premier, c'en est une autre d'être le plus populaire.

    Aussi, rendons à César ce qui lui appartient : Super Meat Boy, version accomplie et très maligne de ce que peut être un jeu de plates-formes/action, a su faire découvrir à toute une frange de joueurs la colère, l'énervement, la frustration, la haine mais aussi, et sans que ce ne soit un paradoxe, l'exaltation et la joie, la persévérance, la constance, la patience.

   Cependant, il me semble bien qu'il y a deux vies à Super Meat Boy, deux étapes, sans doute, de sa découverte et que j'ai traversées malgré moi. Elles donnent chacune une couleur particulière, comme si l'œil, tout d'abord peu habitué à autant de vitesse, de célérité, de candeur presque, faisait son apprentissage et comprenait plus facilement les rouages, les mécanismes, les codes. Car s'il est quelque chose que l'on ne peut jamais, ou bien mal reprocher à SMB, c'est son absence de lisibilité.

   Quelque part, il ne me semble pas interdit de faire une comparaison et de considérer qu'il est au jeu vidéo ce que Tintin a pu être à la bande dessinée, mutatis mutandis, c'est-à-dire une expression formidable d'une certaine "ligne claire". Le concept que l'on connaît bien, la difficulté élevée, la mort fréquente, le reset instantané... me semblent être, étrangement et plus j'y pense, annexes. L'essentiel me semble ailleurs, mais c'est précisément là que se déroule cette vie seconde dont je parlais à l'instant.

   Car oui, on a énormément parlé de Super Meat Boy, de l'abnégation dont savent faire preuve, à la surprise de tous, les joueurs de tout horizon ; des limites que chacun a pu et dû repousser pour aller au plus loin et même, mais on en est toujours le premier surpris, terminer le jeu ou, du moins, en voir le générique de fin ; de la maestria que l'on se découvre lorsque l'on rebondit, sur le fil du rasoir - au propre comme au figuré - au contact d'un mur branlant pour rejoindre une minuscule plate-forme, lorsque l'on saute à nouveau, l'élan aidant, vers un autre piédestal plus précaire encore et que l'on finit sous les bravi imaginaires ce niveau que l'on croyait inaccessible.

   Oui, bien sûr.

   Mais, il m'a semblé, plus rares ont été les étonnements face à cette progression intelligente du gameplay et des pièges, comme si, toujours, l'on ne prenait le jeu que de façon discrète, alors qu'il ne révèle sa quintessence, à ce que je puis croire, que dans la continuité. Tout comme, alors, il ne faut céder aujourd'hui aux sirènes des "super guides" et des codes secrets, il faut se restreindre de picorer SMB comme en un recueil de poésies et se forcer à faire les niveaux, les uns après les autres, jusqu'à les maîtriser parfaitement. Il ne faut pas faire appel aux personnages débloquables, nonobstant la difficulté pour les obtenir, et ne pas exploiter leurs capacités secrètes pour comprendre toute la plasticité, mais cela était attendu, du personnage principal. Il ne faut pas, et cela surprendra davantage peut-être, trouver immédiatement les warp zones mais y revenir ultérieurement, une fois la trame principale débloquée, pour saisir que Super Meat Boy reste une expérience hypnotique, euphorisante, et non pas lente et appréciée dans sa longueur tel un Mario ou un Metroid.

   Je ne dis pas cela, bien qu'en y songeant cela a sans doute un lien, du fait de la première vie de "jeu flash" du titre, le Meat Boy vers lequel tout un chacun devra revenir, ni parce que je me rappelle, comme une tare, son étiquette de "jeu indépendant". Il me semble qu'il y a, dans Super Meat Boy, une envie de proposer une expérience qui ne fait qu'emprunter à la plate-forme, et à Mario puisqu'il reste le modèle indépassable et reconnu, sans pour autant l'être en plein, de la même façon qu'il peut emprunter une imagerie "rétro" sans s'en revendiquer néanmoins. C'est ainsi, pour en revenir à cet article que je citais au tout début de mon billet, que je considérais les choses, l'appelant le "plan nichon" du jeu vidéo. Si je reste convaincu de la "facilité" que ces appels, assez lourds, du pied représentent, je comprends que l'on peut les considérer comme des indices nous invitant à réfléchir, réellement, à ce qu'est SMB.

   Mon malheur, c'est ce que je suis rentré jadis dans ce jeu avec un certain orgueil, je pense, tout connaisseur croyais-je être des grands noms de la plate-forme, de leurs codes, de leurs limites. Les critiques que je lui adressais alors, ses aspérités, demeurent et je les vois encore : mais tandis que ces défauts me repoussaient, je me surprends à les aimer à présent, non car ils seraient devenus, on ne sait comment, des qualités, mais bien, plutôt, parce qu'ils fondent "l'expérience Super Meat Boy" et qu'on ne saurait le réduire à ceux-ci, ou les effacer. Le jeu, en son état, est "parfait" dans le sens où il n'est rien à enlever : et c'est parce que son goût, sa saveur, est unique malgré ses thuriféraires et ses précurseurs qu'il est aimant.

   Il est des jeux que l'on retient toujours, et vers lesquels toujours nous revenons. Il est ceux qui plaisent sur l'instant, intensément parfois, mais que l'on oublie pourtant, par accident. Et puis, il y a ceux qui restent en nous, comme un écho, un rêve de rêve, et dont la force grandit année après année, partie après partie.

   Super Meat Boy est pour moi de ceux-là. Il résiste, à ma grande surprise je dois dire, à l'épreuve du temps. Et, ne serait-ce que pour moi, c'est là le signe de son immense qualité. 

 

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