The Shining (1980, Stanley Kubrick)

Publié le par GouxMathieu

   La saison de l'horreur a beau être passée, mon esprit y revient néanmoins, puisqu'il traîne ces jours-ci de noires pensées. De loin en loin, puis de proche en proche, je me suis ressouvenu de The Shining, qui fut l'une de mes premières peurs : elle ne m'a plus jamais quitté depuis.

 

   Disons-le, peut-être au dam des puristes qui ne me pardonneront pas : je n'ai pas lu le texte original de Stephen King. J'ai parcouru un certain nombre de ses romans et nouvelles, mais celui-ci m'aura échappé : hasard des lectures et du reste. Je ne m'aviserai donc point de considérer ce film comme une adaptation, mais dans sa totalité, comme détachée de tout : pour moi, The Shining est un film de Kubrick avant toutes choses.

   Je ne me prétendrai guère sachant en sa filmographie, il est des cinéastes que je connais bien mieux : mais de ce que je sais et de ce que je puis dire, me concernant tout du moins, il y a toujours quelque chose de désagréable et de déséquilibré chez lui. Il y a, plus qu'ailleurs, cette inquiétante étrangeté, cet Unheimlich qui me captive : cette sensation d'être à la fois en et hors soi, en sécurité comme en danger, entouré de gens aimants qui n'attendent, pourtant, que de vous poignarder.

   The Shining est ainsi fait : l'hôtel à l'architecture impossible, aux fenêtres aveugles, aux labyrinthes sans issues ni entrées ; ses personnages troubles, en priorité Jack Torrance dont on devine, à mi-mot et par indices voilés, sa violence sourde, son instabilité, sa folie présente avant même qu'il ne fasse le choix de rester dans la bâtisse ; ces fantômes intangibles et qui, pourtant, parviennent à manipuler tel ou tel objet.

   Bien entendu, les théories nombreuses, compliquées, n'ont point manqué de fleurir, pour expliquer telle ou telle scène, telle ou telle réplique : mais de loin, mes préférées sont encore celles qui s'attachent davantage à retrouver les traces subtiles que le réalisateur incorpora sans y paraître. La couleur d'un tapis ; le motif d'un pull-over ; la numérologie d'une chambre ; tout cela est en pleine lumière et caché à la fois, et il faut davantage qu'un œil scrutateur pour le reconnaître, il faut qu'une main, plus savante que la nôtre, pointe précisément l'endroit où se dissimule le secret pour l'apercevoir enfin.

   Au-delà du sang et des violences, au-delà des cris et des larmes : c'est encore cela que je trouve volontiers le plus terrifiant dans ce film. Non ce qui est montré clairement, et non ce qui est dissimulé pour être dévoilé : mais bien ce qui est invisible y compris pour celui ou celle qui a des yeux pour voir, ce qui ne peut s'appréhender. Il y a comme une aporie de la réflexion et de la pensée ici, une compréhension absente. C'est cela, personnellement, qui me fait le plus peur.

   C'est la parole entendue, mais que l'on n'a pas comprise, et dont on n'a pas saisi la portée ; c'est le geste esquissé, que l'on a évité et dont l'effet, pourtant, s'imprime malgré nous en notre cœur et nous change sans qu'on ne s'en aperçoive ; c'est la fin d'une saison et la légère transition vers la suivante, sans que l'on ne sache précisément dire quel jour, quelle heure, bouleversa fondamentalement nos attentes. Rien ne m'inquiète davantage que de ne pas comprendre : mais il est également dit qu'il est des choses qui doivent me rester éternellement inaccessibles, pour le meilleur comme pour le pire.

 

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