Catch Me If You Can (2002, Steven Spielberg)

Publié le par GouxMathieu

   Fut un temps, cela semble antique !, où je dévorais les DVD sans même y penser. Avant leur disparition, ils étaient peu chers, tout le monde les bradait ; je les achetais au kilo. C'est donc par hasard que je découvris Catch Me If You Can, historiette sans doute médiocre dans la filmographie des concerné·e·s, mais plaisir sincère me concernant.

 

 

   Je doute effectivement que les grands spécialistes de Steven Spielberg, dont on connaît les hauts faits, retiennent cette pochade parmi ses meilleurs travaux. Il en va de même pour les acteurs principaux, DiCaprio ou Hanks, qui se mettent à cabotiner quand ils prennent un peu trop de plaisir à l'ouvrage ; l'histoire, toute surprenante soit-elle, s'inspire de faits réels, romancés évidemment, d'un faussaire de génie qui dupa les plus grands spécialistes de la fraude bancaire avant de tourner casaque, et de rejoindre les policiers en qualité de consultant.

   Mais même en ayant dit cela, même en reconnaissant les limites et de l'exercice, et de l'intrigue, et de la réalisation, il y a quelque chose ici qui dès les origines m'aura intensément plu. C'est assez difficile sans doute à décrire, mais tous ces défauts s'équilibrent, s'entre-tirent et se pondèrent pour former une somme ronde et agréable en bouche, comme un bon plat dominical de chez les grands-parents, après la balade apéritive.

   Ce qui me saisit aussi, et sans doute ce qui consolida dès les premiers instants mon amour du film, c'est cette idée de pouvoir devenir qui l'on veut, indépendamment de l'héritage, des diplômes ou de l'argent. J'ai, effectivement, toujours eu du mal avec cette idée de la "découverte du soi", de l'orphelin se révélant être le prince perdu du Royaume des Fées, ou bien la légende prophétisée par un vieux colon d'haruspice. Certes, mes plus grands modèles artistiques, au cinéma ne serait-ce, versent dans ce concept ; mais il me fatigue par son inaccessibilité personnelle.

   Comme nombre sans doute, j'ai caressé cette idée folle de ne pas être le fils de mon père, de ne pas être le fils de ma mère ; qu'un jour, une lettre jaunie me renseigne sur ce que je suis, sur qui je suis ; et que j'aille, sûr de ma légitimité, réclamer mon dû. La réalité hélas, est bien plus terne ; j'étais qui j'étais. Mais autant je ne pouvais changer mon passé, autant l'avenir m'appartenait.

   Je suis issu d'une classe "moyennement basse", peut-on dire ; j'ai eu beaucoup de chance et, à défaut d'avoir un capital foncier, j'ai su acquérir un capital culturel. Une aisance précoce à la lecture, une docilité bienvenue en milieu scolaire, un calme qui confinait à la sérénité m'ont permis d'aller aussi loin que mes bras pouvaient me porter, ce qui était déjà loin, bien plus loin que tout le reste. Je suis de ma famille proche le seul bachelier ; de ma famille étendue, le premier docteur. J'en tire, sans fard, une grande fierté, que je veille à ne pas changer en orgueil.

   Sans vraiment le comprendre, je me suis alors souvent senti proche de Franck Abagnale Jr., ce faussaire délirant. Je n'ai pourtant jamais trompé, trahi ou triché ; je suis tout aussi légitime que d'autres, en ayant eu l'avantage d'être boursier, en ayant pu travailler pour combler le reste, en esquivant les errances de santé et les accidents terribles. Je me sens pourtant, et encore maintenant, parfaitement illégitime, imposteur même. Parfois, cette anxiété s'efface, quand on m'écoute sincèrement comme le spécialiste que je suis devenu ; sinon, elle revient, partout ailleurs.

   Peut-on être glorieux dans l'incertitude, peut-on lever le front devant la probabilité qui aurait dû me détruire, m'empêcher d'aller au-delà ? Je me souviens de ce conseiller d'orientation de troisième qui voulait m'envoyer dans le bâtiment malgré mes résultats excellents, non parce que cela m'intéressait, mais parce que les habits de ma mère et les miens étaient troués.

   Il y a cette malédiction que connaissent les "transfuges de classe", les rescapés, les faussaires. La branloire pérenne, la cavale éternelle, le déséquilibre haletant qui nous fait toujours aller vers l'avant, qui nous fait toujours avancer. Rester immobile, attendre, c'est mourir ; c'est risquer que la police nous rattrape ; c'est laisser à la force des choses le soin de nous ramener dans la case où nous aurions dû rester. C'est sans doute cela que je vis dans ce film ; et c'est sans doute encore pour cela que je l'aime.

 

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