Columbo (1968 - 2003, Levinson & Link)

Publié le par GouxMathieu

   De mon amour pour le policier, le polar et les histoires de meurtre, j'ai assez parlé, je crois, dans ce journal. Parmi les premières œuvres qui modelèrent ma passion pour ces choses, il y eut la série télévisée Columbo, que je redécouvre ces temps-ci, porté par l'air du temps.

 

   Entre les histoires vraies et les fictions, mon cœur toujours balance : mais il y a dans le principe de l'enquête - que d'aucuns faisaient matriciel de toute la littérature, en passant - une fascination particulière, que j'en sois comme ici spectateur ou, ailleurs, acteur. On saura d'ailleurs qu'en la matière, les deux concepts souvent se croisent : et que ce soit dans le "Whodunit" ("qui l'a fait ?") ou le "Howcatchem" ("comment va-t-il l'attraper ?"), il est un plaisir certain à se faire l'enquêteur ou l'enquêtrice et découvrir les indices déterminants qui mèneront, finalement, à la vérité.

   Columbo est, et je ne pense pas être particulièrement original en disant cela, l'un des chefs d'œuvre de cette seconde façon, dont on connaît parfaitement le principe : le meurtre et son stratagème est montré au commencement, et le détective de venir patiemment remonter les indices, dévoiler les incohérences, trouver le coupable.

   Au-delà néanmoins du principe et de sa roublardise, ce qui permet à la série de rester dans les mémoires, c'est son protagoniste : Peter Falk, qui a aussi fait quelques rôles charmants au cinéma, est incroyable de malice, de papillonnage et d'agacement. Ses mimiques, sa gestuelle, son phrasé tout spécifique - que l'acteur Serge Sauvion, en français, rendait excellemment - sont rentrés dans la mémoire collective, c'est un mélange d'agacement et de persévérance, de l'œil à qui rien n'échappe et de la main qui tout annote sans trembler.

   C'est, aussi, un détective de son temps, et il est frappant de voir que certaines facettes du personnage aujourd'hui ne pourraient pas être écrites ainsi : sa façon de se faire appeler au téléphone chez les assassins - point de portables ni de beepers à l'époque ! - et de pénétrer encore plus loin dans leur intimité ; son carnet de notes "à l'ancienne" ; son recours aux bibliothèques et aux encyclopédies pour accéder à tel savoir savant accessible à présent en deux clicks ; Columbo n'est pas seulement le plus brillant des détectives, c'est aussi l'inspecteur d'une société au bord de la modernité.

   Il y a également ce plaisir déroutant, dans un épisode de Columbo, de toujours rentrer dans un nouvel univers et d'en apprendre davantage sur tel ou tel domaine du savoir humain, qu'il s'agisse de la viticulture ou de la publicité, du monde de l'art ou de la marine. Le lieutenant est curieux, non seulement quant à l'enquête qu'on lui confie mais de tout, en général comme en particulier : il aime apprendre et il aime à ce qu'on lui apprenne, et c'est précisément à ce moment, lorsque par orgueil ou plaisir sincère, les coupables lui montrent les arcanes de leur métier, que la vérité surgit.

   Columbo a beau, effectivement, être un excellent juge de la nature humaine, sachant déceler sans mal les mensonges et les gênes, les tracas et les incertitudes, il est aussi un excellent artisan et un excellent amateur des choses de l'esprit et de la matière. Là, il apprend les principes d'un tour de magie, pour comprendre comment un prestidigitateur donna le change ; ailleurs, il demande à son invisible de femme le rôle des produits de maquillage pour comprendre comment cette tâche a été faite ; encore, il dévore des ouvrages de marketing publicitaire pour connaître le rôle des images subliminales.

   C'est dans ce mélange particulier, entre l'exploration des tréfonds de l'âme humaine - souvent nécessaire pour déterminer le qui bono et le mobile - et la fabrication encyclopédique de nouveaux savoirs - qui détermine le modus operandi - que le lieutenant nous étonne et toujours ressort victorieux. Dans les quelque 69 épisodes de la série, tout n'est pas à garder bien entendu, certains sont moins bons que d'autres : qui s'en étonnera ? Mais c'est toujours avec plaisir cependant que j'y reviens, et c'est encore avec délectation que j'y repense.

   Ce plaisir, terminons ici, n'est pas pour moi seulement artistique ou culturel : il est maternel également. Quand j'étais plus petit, les épisodes passaient souvent tard le soir, si tard que ni moi, ni ma mère ne pouvions veiller ; nous les enregistrions au magnétoscope pour ensuite les regarder le lendemain ou le surlendemain, en échangeant nos hypothèses. Cela sera sans doute vu comme futile, mais je chéris ces moments où, ensemble, nous regardions vers la même direction, parlions des mêmes choses : et apprenions, avec plaisir, des choses nouvelles sur la façon de tuer les gens.

 

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