Le grand Blond avec une chaussure noire (1972, Yves Robert)

Publié le par GouxMathieu

   J'ai parlé jadis des Malheurs d'Alfred, qui a été l'un de mes films d'enfance favoris. Mais en ce qui concerne la filmographie de Pierre Richard, je ne cesse de réciter et de rire aux répliques du Grand blond, qui m'accompagne jusque là.

 

 

   C'est là l'un des grands succès populaires du cinéma français, comme Yves Robert a su en faire beaucoup. Pour mettre de côté un rival ambitieux, le patron des Renseignements Généraux demande à son second de choisir un inconnu à Orly, "un homme dans la foule", pour faire croire audit rival qu'il s'agit d'un super agent secret venu lui nuire. Le "grand Blond" ne se doutera de rien, et sera pris malgré lui dans les fils cachés d'une guerre d'espions, qui laissera des traces sur lui, sa vie et ses proches.

   Le monde des agents secrets, des opérations spéciales, des armées de l'ombre m'a toujours fasciné, comme d'autres, et on comprend rapidement pourquoi : cette idée qu'il existe une cohorte de personnes sachant mentir, dissimuler, tromper, des années durant sans se faire prendre, parlant plusieurs langues et équipés des meilleurs gadgets du temps, a de quoi faire rêver.

   Mais l'inclusion de Pierre Richard, musicien naïf et tendre comme l'acteur sait si bien le jouer, donne une couleur particulière à l'histoire. Il y a ce changement de rythme et cette confrontation entre deux univers que j'aime beaucoup, entre le sérieux et la gravité offerte par Jean Rochefort ou Bernard Blier, et l'indolence ou la nonchalance de Richard ou de Carmet, son fidèle ami et collègue d'orchestre. Je ne sais si je dois à ce film mon amour considérable de la tragi-comédie, du clair-obscur et du mélange, mais cela a sans doute joué.

   Cet équilibre disparaîtra dans la suite, Le Retour du grand Blond..., sympathique, mais que j'aime bien moins : il est plus léger, plus guignol, mais imposant. Le grand Blond... a cet humour pince-sans-rire que j'adore, et j'y ai découvert Paul le Person, qui campe ce second, "Perrache", avec une malice et une brillance rare. Il dégage pourtant quelque chose d'inquiétant dans ses silences, et même si Rochefort ou Blier en imposent tout autant, sa tranquillité pèse et détonne.

   J'ai revu le film récemment, avec mon épouse, grande amatrice d'Yves Robert par ailleurs, mais qui ne le connaissait pas. Il fait sans doute un peu son âge à présent, particulièrement concernant le personnage de Christine, jouée par Mireille Darc, qui n'aura qu'un rôle ancillaire, voire de butin, la narration ne laissant que peu de doute à ce sujet. Encore, les espions étaient vus comme une affaire purement masculine, à tort ; et cela empâte, ce me semble, sur le propos. La chose me dérangeait déjà l'époque, elle dérange encore maintenant.

   Ce n'est cependant pas suffisant pour vouer le film aux gémonies, et il a sans doute bien mieux vieilli que d'autres. Même, je le trouve encore bien meilleur que dans mes souvenirs. Dans notre société de surveillance généralisée, où il est difficile d'être inconnu, il y a quelque chose d'outrageusement prophétique dans cette leçon donnée sur la vie privée et à son respect. Dans ce film, sa violation était le fait d'enjeux de pouvoirs fuligineux ; aujourd'hui, les raisons en sont mercantiles. Je ne suis pas sûr qu'on y gagne au change.

 

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