Super Metroid (1994, Nintendo)

Publié le par GouxMathieu

http://i85.servimg.com/u/f85/13/75/31/94/113.png   J'avais parlé plus tôt ici même de Mario, j'avais parlé plus tôt de Zelda. Il me restait à évoquer ce qui est pour beaucoup la troisième série "phare" de Nintendo, je veux bien entendu parler de Metroid. Jeux vibrants de claustrophobie et de solitude, sentiments hélas ! sacrifiés sur l'autel de la narration à outrance avec les derniers épisodes, les trois premiers épisodes représentent cependant une vision très particulière du jeu d'exploration, à mi-chemin entre Alien et les romans de Kafka. Et Super Metroid, ou Metroid 3, d'en être peut-être le parangon.

 

   Que celles et ceux qui ne seraient pas familier  avec la série se voient rassurés, en voici un descriptif plus emporté que juste, mais peu importe.

   Nous sommes à l'heure des grandes conquêtes spatiales et de la découverte du cosmos. L'humanité s'est étendu parmi les étoiles, et a rencontré de nombreuses autres formes de vies intelligentes, certaines bienveillantes, d'autres cruelles. Dans un recoin de cet univers nouveau, une créature étrange est découverte : une façon de méduse verdâtre d'une résistance folle, qui a le pouvoir d'aspirer toute forme d'énergie, y compris la chaleur naturelle des êtres vivants. Si les scientifiques voient d'un œil intéressé ces Metroids, car tel est leur nom, les militaires ne la conçoivent que comme une menace qu'il faut absolument détruire. Et encore, des pirates de l'espace, crabes grouillants sans foi ni loi, ne rêvent que de s'en emparer afin d'étendre leur vœux de mort. Ceux-ci, justement, sont parvenus à dérober plusieurs larves et à les faire se multiplier dans une base souterraine située sur une lointaine planète, du nom Zébès. Pour les contrer, une mission d'infiltration est organisée : et un chasseur de primes, du nom de Samus Aran, est dépêché avec deux objectifs primordiaux, d'une part éliminer la menace Metroid, d'autre part supprimer le chef des pirates de l'espace, l'ordinateur bio-mécanique Mother Brain. Ces événements prirent place dans le premier jeu.

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   À peine Samus avait-elle quittée la planète Zébès que son commandant en chef l'avertit que les forces humaines avaient repéré la planète natale des Metroids, SR388. S'y rendant, elle dût arpenter les souterrains grouillant de larves de ce planétoïde avant de détruire la reine-mère. Mais, alors qu'elle revenait confiante sur son vaisseau, une larve éclôt devant elle. La prenant d'affection, elle se décide de l'épargner, et de la mener aux scientifiques. Ceci est l'histoire du deuxième jeu.

   Quelques jours plus tard, un signal de détresse parvient à Samus. La station orbitale où la larve était entreposée est attaquée.

   Ceci est le début du troisième jeu.

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   Le début de Super Metroid est puant de détresse, de morts, de tristesse. Sur une musique angoissante et angoissée, un écran noir sur lequel s'inscrit en lettres blanches le titre du jeu. Puis l'air s'emballe mais reste comme étouffé dans un carcan invisible : au milieu d'une salle de recherches, la larve Metroid vivote. Autour d'elle, trois cadavres en blouse blanche maculés de sang. Ce ne seront pourtant, si ce n'est l'héroïne principale, que les seuls êtres humains que le joueur rencontrera.

   Je pense qu'un jeu comme Super Metroid ne pourrait pas exister aujourd'hui. Non pour ces bribes de violence, l'on fait aujourd'hui pire, que ce soit en surenchère farcesque ou en subtilité, mais pour son refus intégral de toute forte de narration explicite, tout du moins. Si ce n'est l'introduction du jeu, restée en mémoire car partiellement parlée, aucun texte, aucune indication si ce n'est celles pour se servir des nouvelles armes acquises ne sera présente à l'écran. Aucun indice sur ce qu'il faudra faire prochainement. Aucune indication d'histoire, de personnages, de caractères.

   Mais le jeu va encore plus loin que cela puisqu'il empêche également, par la solitude constante qu'il se force d'entretenir, par la mélancolie de ses mélodies et par le labyrinthisme de ses environnements, de se figurer les pièces manquantes de l'histoire que l'on cherche à nous conter. Rien n'est reconstructible dans Super Metroid : et comme toute histoire de labyrinthe, un seul souhait nous habite, en sortir le plus vite possible.

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   Il est d'ailleurs intéressant de voir à ce niveau la fascination que les jeux Metroids entretiennent avec les ruines. Elles sont omniprésentes : ruines d'anciens complexes scientifiques détruits par nos soins, ou ruines de civilisations anciennes à présent anéanties. Ces pierres, ces tuyaux délabrés, sont des traces d'histoire, mais d'une histoire à laquelle nous n'appartenons plus. Ce sont des témoignages muets d'une présence antérieure qui, la plupart du temps, nous sont inaccessibles et incompréhensibles. Si on peut lire les glyphes et les décrypter, parfois les envisager, ils ne peuvent nous raconter la grandeur des temps jadis. Ce sont des traces sur le sable que le vent bientôt balaie.

   En errant dans ces ruines, le joueur se sent lui-même étranger à l'histoire qu'on lui raconte. Finalement, il n'est pas "acteur" de la destinée de ces jeux, il n'est que poussière, un atome plongé dans un océan d'incertitudes et de silence.

   Jamais jeu vidéo n'avait pu nous faire ressentir de la détresse aussi bien que celui-ci.

   Le média est devenu bruyant. Par la force du stockage et de la puissance, les héros parlent, crient, ahanent, se plaignent, nous dévoilent leur intimité la plus profonde. Plus aucun jeu, où des rares ! comme Ico ou Shadow of the Colossus qui doivent sans doute plus à Super Metroid qu'on ne le pense, ne prend le risque de se taire. Craindrait-on que le joueur s'ennuie ?

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   Mais l'Ennui est là dans Super Metroid. Pas dans son sens de "lassitude", mais bien dans son sens vieilli de "désespoir". Super Metroid est un jeu désespérant. L'on ne ressent pas réellement de l'accomplissement en y jouant, mais on guette à chaque pas une bouffée d'air frais qui ne vient jamais, ou trop rarement. Chaque porte nous conduit vers un nouveau couloir, chaque couloir vers une nouvelle porte. Même le ciel a ses limites qu'on ne peut dépasser.

   Super Metroid est un jeu qui tirerait presque vers de la philosophie si l'on divaguait un tant soit peu. Il n'y a dans tous les cas pas de mystères : s'il reste, encore aujourd'hui, une pierre angulaire du média, c'est bien parce que, quelque part, il effraie les joueurs en les renvoyant à leur contingence.

   Super Metroid n'est pas, comme tant d'autres jeux, la quête du "bien" contre "le mal", ou de la "justice" contre '"l'injustice". Mais une intelligente quête du sens qui, et c'est là le dernier pied-de-nez des concepteurs, n'est jamais résolu, même après le générique de fin.

   Comme dit l'héroïne elle-même, see you next mission!

 

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