Picsou (1947 - aujourd'hui, Carl Barks/Don Rosa)

Publié le par GouxMathieu

   Lorsque j'étais plus jeune, les aventures de Mickey ne me plaisaient guère. Je lui préférais largement Donald, bien plus vicelard, colérique et amusant, du moins en ce qui concernait les dessins animés. En matière de comics, du moins ceux que l'on pouvait trouver alors dans Le Magazine de Mickey, Mickey Parade, Super Pïcsou Géant et autres, je ne jurais guère que par l'intermédiaire des aventures de l'homme le plus riche du monde (eh non, ce n'est pas une erreur de ma part), Scrooge McDuck, mieux connu sous nos contrées sous le nom de Balthazar Picsou.

 

   Je pense que mon plus vieux souvenir touchant ce personnage fut l'adaptation du fameux roman de Dickens, A Christmas Carol où le canard interprète alors le personnage de fiction qui inspirera in fine sa création, Ebenezer Scrooge. J'y voyais là un anti-héros avare, méchant, acariâtre mais qui, grâce à la vision successive de plusieurs fantômes, parvint à se racheter. Il y avait là quelque chose qui m'intriguait et qui aujourd'hui encore me plaît énormément : l'idée que la véritable bonté n'est pas un don ou un talent inné mais qu'elle doit se conquérir, jour après jour, sur un caractère plus porté davantage vers l'indifférence ou la médiocrité.

   Au fur et à mesure du temps, et par l'intermédiaire bien entendu de Picsou Magazine qui faisait la part belle à ce personnage de Carl Barks, je tombai véritablement amoureux de ce canard fantastique à l'existence rocambolesque qui multipliait les aventures autour du globe, souvent aidé dans sa course par son neveu Donald et les triplés Riri, Fifi et Loulou. Sa mythologie, notamment par l'intermédiaire de l'impressionnant travail de Don Rosa qui reconstruisit une Jeunesse de Picsou en scrutant méticuleusement les indices disséminés par le maître dans les planches, m'est à présent aussi connue que les amours de Zeus ou les Aventures d'Alice sous la Terre : et de la généalogie entière du clan des McDuck à la géographie de Duckbourg en passant par ses inimitiés avec Miss Tick, Gripsou ou les Rapetou, je ne peux m'empêcher d'y revenir régulièrement comme en un pélérinage au pays des vertes années.

   Évidemment, l'on ne saurait manquer de rapprocher le personnage, outre l'inspiration de Dickens dont j'ai déjà parlé, de Charles Foster Kane, dans le domaine cinématographique, et bien entendu d'Howard Hugues qui finit sa vie dans la réclusion la plus parfaite. Picsou serait, en quelques sortes, le pendant "lumineux" de ces dernières figures, qui parvint à retrouver, à l'orée de la vieillesse, un deuxième souffle et une envie supplémentaire de vivre.

   Car effectivement et contrairement à ce à quoi l'on pourrait s'attendre, les Aventures de Picsou ne représentent, en elles-mêmes, aucun intérêt en particulier. Si certaines tournent autour de la restitution d'un butin volé par des bandits ou une faillite soudaine, la grande majorité, l'immense majorité même, voit le canard déjà multi-milliardaire tenter d'enrichir encore sa fortune colossale qui en Europe, qui en Afrique, qui en Asie. Ces aventures compilent, à mon sens, toutes les qualités de ce genre : d'une part l'intelligence des références, car ce sont souvent les textes antiques ou médiévaux qui enclenchent le processus, ce n'est donc pas un hasard de voir le héros partir à la recherche de la Toison d'Or, de l'Atlantide ou de Xanadu.

   D'autre part, l'action et l'excitation, les argonautes devant désactiver les pièges des temples perdus ou résoudre des énigmes complexes pour arriver à leur fin ; ajoutez à cela un rien de science-fiction, notamment par l'intermédiaire de Géo Trouvetou, et vous obtiendrez un cocktail intelligent que mettra à profit, bien plus tard, Indiana Jones pour le succès qu'on lui connaît.

   Il y a une profondeur intéressante à ce personnage, plus qu'on ne pourrait le croire. Bien entendu, on le sait avare, grippe-sou, attiré par l'appât du gain ; mais il est aussi intelligent, cultivé, fin, ses nombreux voyages autour du globe l'ayant amené à apprendre plus qu'on ne pourrait le croire possible en une vie et à côtoyer de nombreuses personnalités dont Buffalo Bill, Géronimo ou Theodore Roosevelt. Pour un peu, l'on pourrait se servir du personnage, au même titre que Lucky Luke par ailleurs, comme une illustration maligne de l'évolution qu'a connue la société entre le XIXè et le XXè siècle.

   Ailleurs, il possède un courage et une sensibilité hors-normes qui lui fera toujours préférer les siens aux gains possibles de ses actes, quitte à ce qu'il faille mettre en jeu son fameux "sou fétiche", première des pièces qu'il ne gagna jamais à la sueur de son front. Par endroit, ce sont de vrais drames cornéliens qui se jouent dans ces saynètes et quand bien même sera-t-il toujours vainqueur, ladite victoire sera souvent plus morale que concrète.

   Depuis le commencement, ce sont ces qualités qui m'intriguent. Oh ! Je ne pense pas cracher sur sa fortune, bien entendu, mais quitte à choisir, je préférerai son amour, son courage, sa vigilance, sa culture, son intelligence, sa sagacité, sa ténacité, ses ressources morales. En présentant, ce qui est finalement rare dans le monde de la fiction, un richissime personnage qui sait se montrer, étrangement, bien plus humain et altruiste que les pauvres bougres qui lui en veuillent par jalousie, par égoïsme ou par envie, c'est déjà se liguer contre les stéréotypes qui associent régulièrement richesses et méchanceté.

   Faire, ainsi et comme on l'a voulu, de Balthazar Picsou un symbole vicieux du capitalisme et du libéralisme "sauvage" me semble profondément faux. C'est, au contraire, une fable humaniste des plus sages. Du moins, elle m'aura appris que ni les possessions, ni les richesses, ni la gloire, ni le succès, conduisent nécessairement au vice du moment que l'on sait se dépasser et que l'on est soutenu par un neveu malchanceux et des triplés membres des castors-juniors.

   Bon, la leçon n'est peut-être pas aussi claire que ça... Mais c'est un début.

 

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