"Weird Al" Yankovic (né en 1959)

Publié le par GouxMathieu

   On peut se demander, parfois, quels chemins empruntent les œuvres culturelles pour nous parvenir, ou pour ne pas nous parvenir. Cela m'a toujours surpris : il est des choses que nous tenons en haute estime et qui ne dépassent jamais nos frontières et d'autres que nous goûtons guère qui ont une deuxième vie à l'étranger. Il paraît difficile de prévoir à l'avance le succès international de tel livre, de telle musique ou de tel film : et cela rend le plaisir de la découverte plus délicieux encore.

 

   Aujourd'hui, j'aimerai vous parler de Alfred Matthew Yankovic, mieux connu sous son nom de scène de "Weird Al". Chanteur, parolier et parodiste on ne peut plus reconnu aux États-Unis, son nom n'est pas des plus connus en France. Et pourtant, sans le savoir, vous en avez déjà entendu parler. Vous l'avez déjà vu dans les Simpsons :

   Ou, encore, si vous avez déjà regardé The Naked Gun (Y'a-t-il un flic pour sauver la reine ?, avec Leslie Nielsen) :

   Si "Weird Al" est ainsi une figure aussi réputée outre-Atlantique, c'est pour son goût de la parodie et de la distanciation. Il s'est fait connaître, au tout début de sa carrière, par d'hilarantes parodies de chansons populaires, dont Queen (Another One Rides the Bus), Michael Jackson (Eat It) ou Madonna (Like a Surgeon). Son apparence grandguignolesque, sa moumoute frisée, son abondante moustache et son piano à bretelles, dont il est un virtuose, éternellement vissé à ses épaules, ne peut que provoquer l'hilarité. L'âge aidant, il a depuis laissé tomber la moustache, raser ses boucles au profit d'une longue chevelure mais il garde ce goût inaltérable de la parodie.

   L'on raconte, quand bien même l'art de la satire ne souffre, ni ici ni aux USA du moindre ennui légal, qu'il demande toujours la permission à ses "cibles" avant de les modifier. La plupart sont flattées, ce qui n'est que légitime tant c'est là une grande marque de respect. Le seul artiste ayant toujours refusé, mais cela ne surprendra pas tant on connaît son goût du secret, reste Prince ; et c'est bien dommage, car j'avoue que je suis curieux d'entendre ce qu'aurait pu donner Sexy Mother Fucker dans le style de Weird Al.

   Ce qui a su sans doute freiner la carrière de l'artiste en France, notamment, c'est qu'il convient d'avoir un certain niveau en langue anglaise pour pouvoir saisir toutes les subtilités de son écriture. Les mélodies, évidemment, restent cruellement les mêmes : mais le sens évolue du tout au tout. Eat It, dans une reprise quasi-parfaite du Beat It de Michael Jackson, ne parle ainsi que de nourriture ; Amish Paradise, parodie du Gangsta's Paradise de Coolio prend à présent place chez les Amish ; Perform this Way s'amuse des costumes surréalistes de Lady Gaga sur l'air de Born this Way, etc. etc.

   L'écriture, ici, est d'une grande qualité : non seulement l'on reprend le rythme et les sonorités mêmes de l'œuvre originale, mais on adapte le sens de façon à le détourner et, parfois même, de révéler les erreurs, les absurdités, les stupidités de la chanson originale. En ce sens, l'un de ses morceaux les plus réussis à mon sens reste Polka Face, "pot-pourri" de nombreuses chansons du moment (Womanizer, Poker Face, Baby, Break your Heart...) et, sans en changer un seul mot mais simplement en les mettant sur un air de polka, il parvient à les rendre infiniment drôles.

   Au-delà de ce travail de parodiste qui reste, malgré tout, la pierre angulaire de son œuvre, l'on s'amusera à se plonger, le long de sa riche discographie (13 albums studios, sans parler des concerts et des EP) dans nombre de chansons originales qui, si elles cherchent toujours, quelque part, à parodier tel ou tel morceau, sont d'une grande qualité tant sur le plan musical que sur celui de l'écriture : en vrac, citons Dare to be Stupid qui est un hommage sublime au groupe DEVO (et notamment de leur reprise de (I can't get no) Satisfaction des Rolling Stones), I Lost on Jeopardy (où les mésaventures de Weird Al dans cette fameuse émission de variétés), Close but no Cigar (avec un clip hilarant signé John Kricfalusi, créateur de Ren & Stinpy) ou encore cette pièce maîtresse qu'est Albuquerque, chanson totalement hallucinée d'une dizaine de minutes, plus parlée que chantée d'ailleurs, qui relate les tribulations d'un jeune homme dans la fameuse ville sus-nommée.

   Pour profiter pleinement des chansons et du travail de Weird Al Yankovic il faut, même si l'on saisit assez bien la langue tant ses paroles sont garnies d'argot, de termes rares et populaires, les écouter avec les paroles sous les yeux pour rire malgré tout.

   Et alors, peut-être que comme moi vous entonnerez un jour ces mots emplis de sagesse : Everything You Know Is Wrong!

Commenter cet article