Arctic-Nation (2003, Canales & Guarnido)

Publié le par GouxMathieu

   Oui, je m'en vais être un rien chafouin et, plutôt que d'évoquer, comme je le fais d'ordinaire dans cette catégorie, une série entière, je m'en vais me concentrer ici sur un album d'une série fort connue, Blacksad. Artic-Nation, effectivement, est pour moi le plus réussi jusqu'à présent, et celui vers lequel je reviens constamment.

 

 

   Les premières aventures du chat détective que tout un chacun doit connaître à présent étaient d'ores et déjà plaisantes : mais, j'avoue, au-delà du seul graphisme, extraordinaire bien évidemment, l'histoire ne m'avait guère transporté. Agréable, certes, mais rien d'exceptionnel : je trouvais la chose creuse. Je ne suis pourtant guère dérangé par les clichés, quand ils sont bien venus : mais là, le décalage avec la maîtrise du pinceau était tel que le défaut ressortait plus encore.

   Bien évidemment, vous vous doutez que je n'ai pas ce grief envers Artic-Nation qui permet à l'écrin de dissimuler le plus beau des diamants.

   Artic-Nation effectue, pour moi, ce que toute suite se devrait de faire : reprendre et élargir. Il reprend, effectivement, l'univers si particulier du premier numéro, ses personnages, sa narration ; mais il étend son principe on ne peut mieux et offre ce que nous demandions.

   Tout d'abord, nous en savons plus sur le fonctionnement de ce monde : si, dans Quelque part entre les ombres nous nous doutions que ces animaux ont, dans leur personnalité, les traits que La Fontaine prêtait à ses héros, qui la loyauté, qui la discrétion, qui la curiosité ou la froideur, nous ne savions encore trop bien comment ils s'en accomodaient : en incluant alors la problématique du racisme - qui, ici, est un mot bien justifié et un enjeu capital, car on a là, contrairement aux Hommes, de véritables "races" se côtoyant - et, même, en s'en jouant avec le personnage principal car, bien que noir, il a quelques blancheurs ci et là, la série se colore d'une dimension politique qui sera d'autant mieux explorée par la suite.

   Ensuite, en donnant à Blacksad un acolyte en la personne de Weekly, le scénariste permet à la personnalité du premier de prendre plus de dimensions : l'on sait très bien que le rôle du duo n'est pas tant d'aider l'un à donner la réplique mais, bien, à ne pas la donner, le silence salvateur permettant alors au lecteur de le remplir comme il le désire. Comme de juste, chacun prendra de l'autre, l'un retrouvera le sourire, l'autre se sentira un courage qu'il ne connaissait pas.

   Les interactions, alors, avec les autres personnages satellites n'en deviennent que plus savoureuses car de même et en miroir, l'on saura qu'ils n'agiront pas de la même façon face à l'un et face à l'autre. L'histoire, finalement simplexe, du premier album, devient une cathédrale colorée où la lumière, percutant les vitraux, se teint de mille et une nuances.

   Enfin, comment ne pas voir dans la thématique même de cet album, aussi blanc de neige que le premier était noir d'ombre, cette envie sourde, même inconsciemment sue pour celui qui ne chercherait pas spécifiquement à en faire la glose, de "tourner la caméra", en quelques sortes, sur son axe et de dévoiler "l'envers du décor".

   Le monde de Blacksad ne se limite plus, alors, à cette ville initiale et fantasmée qui empruntait, tour à tour, au Faucon Maltais, à Casablanca et à La Corde ; il embrasse maintenant un continent entier, l'océan lui-même ne sera plus une limite envisageable.

   Artic-Nation, ou le prêtre qui, après s'être présenté, tend les bras pour offrir l'absolution.

   Cela, même les anti-cléricaux l'attendaient.

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