L'homme révolté (1951, Albert Camus)

Publié le par GouxMathieu

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/08/Albert_Camus,_gagnant_de_prix_Nobel,_portrait_en_buste,_pos%C3%A9_au_bureau,_faisant_face_%C3%A0_gauche,_cigarette_de_tabagisme.jpg/220px-Albert_Camus,_gagnant_de_prix_Nobel,_portrait_en_buste,_pos%C3%A9_au_bureau,_faisant_face_%C3%A0_gauche,_cigarette_de_tabagisme.jpg  Les vacances que j'ai pu passer au soleil me furent doublement profitables : tout d'abord, le repos apporté m'a permis de commencer sereinement cette nouvelle année "scolaire", si l'on peut dire ; ensuite, elles m'ont permis de me plonger dans une œuvre connue mais que je n'avais jusqu'à présent jamais eu le temps de lire, L'homme révolté, essai philosophique d'Albert Camus.

 

  De Camus, bien évidemment, je connaissais surtout L'étranger et Le mythe de Sisyphe, et des fragments de sa philosophie, de même que ses convictions politiques et ses oppositions à Sartre - dont j'avoue ne pas aimer les travaux, mais plus d'un point de vue personnel que philosophique (commencer Sartre par L'existentialisme est un humanisme est clairement une erreur, La nausée rectifia le tir heureusement). Mais L'homme révolté m'a permis de mieux saisir, et de mieux appréhender, son style et ses méthodes de réflexion.

  Il est possible de résumer L'homme révolté en un mot : l'histoire de la révolte, des origines antiques jusqu'au marxisme du vingtième siècle, en passant par le siècle des lumières, le nihilisme et le nazisme. Bien évidemment, dire les choses de cette façon est horriblement réducteur, mais c'est déjà un commencement.

  Ce panorama "historique" se double, bien évidemment et connaissant l'auteur, d'un regard philosophique et moraliste, ce qui peut surprendre, sur ces événements ; et bien que certaines réflexions m'ont déçu car, quelque part, ancrées dans la période où elles ont été écrites (notamment son regard sur l'œuvre de Marx ou la révolution d'Octobre) d'autres, et en particulier celles traitant spécifiquement de littérature, Sade, Dostoïevsky et Rimbaud, sont bien plus que malignes, mais confinent à une clarté et à une intelligence rarement entrevue. Toute son analyse, ainsi, du "Grand inquisiteur", m'a permis de revisiter cette œuvre dont je suis un fanatique et de la comprendre sous un angle nouveau.

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  Ce que l'on retiendra le plus facilement, je présume, de cet essai qui prend souvent l'aspect d'un immense travail de recherche, c'est cette réflexion poussée sur Nietzsche et le nihilisme, et ses influences déviantes sur le mouvement nazi : trop rapidement, en effet, a-t-on tendance à relier les deux et en faire en sorte que le premier explique l'autre. Camus, en reconstruisant pieusement la façon dont on a pu lire Nietzsche à son époque et les conclusions, parfois stupides ou, du moins, dangereuses, que l'on a pu tirer de ses travaux redore le blason de cet auteur majeur qui a su non seulement conclure la pensée éthique de son siècle mais également prédire, avec un ricanement sardonique, les dérives des âges ultérieurs.

  Son analyse de Marx, également, est des plus splendides et, à dire vrai, il convient de lire cet essai au regard de celui de Debord : si ce dernier part des prémisses et des conclusions de Marx pour montrer ses erreurs et proposer une nouvelle épiphanie, bien que désabusée, Camus semble, de prime abord, beaucoup plus conciliant avec cet auteur majeur même s'il ne peut s'empêcher de l'épingler ci et là. Il en ressort alors une pensée finalement bien plus optimiste que l'on pourrait le croire, grâce à la pirouette sensée opérée qui fait opposer à Camus révolte et révolution : prenant appui sur les événements de 1789 et le fameux mot historique du Duc de la Liancourt, l'auteur fait s'affronter ainsi ceux qui veulent "changer la vie" (le révolté) et ceux qui veulent "transformer le monde" (le révolutionnaire) en remarquant bien que le terme de révolution ne renvoie qu'à un tour sur soi-même, à l'image-même du mouvement des corps astraux.

  Si la révolte, selon Camus, reste alors une aspiration légitime et, pour ainsi, nécessaire, liée à l'humanité comme le boire et le manger, ses expressions sont multiples et ses conséquences nombreuses, et elle se doit de toujours être présente à tel point qu'elle devient l'ennemi de la Révolution elle-même : Lénine, bien mieux que les autres sans doute l'avait pressenti et avait vu la nécessité de la dictature pour permettre à la révolution de subsister et de se poursuivre, d'où alors la présence haletante de la bureaucratie ce qui fait de lui, ironiquement, le lecteur de Kafka le plus assidu de tous.

  Toutes ces pensées, ici réduites à leur caractère simpliste bien évidemment, me permet de mieux saisir davantage les fondements des critiques des existentialistes et des communistes à l'égard de Camus qui, mieux qu'eux sans doute, a su intégrer le facteur du réalisme - et du nom du "réalisme communiste" - à ses réflexions. Cela seul a tracé une frontière imperméable entre ces penseurs, et une guerre de principes dont les effets se font encore aujourd'hui ressentir. À la fois pamphlet, essai, traité de morale et étude littéraire, L'homme révolté n'est sans doute pas un libre facile d'accès et ce malgré l'écriture didactique de son auteur. Mais il reste un passage obligé pour qui s'intéresse un tant soit peu à l'histoire de notre siècle, à ses contradictions et à ses malaises : et si l'ouvrage n'apparaît parfois que comme des prolégomènes destinés à introduire une pensée plus vaste ce qui, paradoxalement, l'invite à être lu avant L'envers et l'endroit, Sisyphe ou L'étranger, cela n'en fait jamais que le chef d'œuvre de Camus.

  Il n'est de plus bel ouvrage que celui qui parvient à expliquer, quelques dix ou quinze ans plus tard, les raisons qui ont poussé un auteur à s'exprimer.

 

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M
J'ai entamé L'homme révolté ce matin. J'espère être capable de synthétiser de la même manière ce que j'en retiens quand je l'aurai terminé !
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G
Merci pour votre joli commentaire ! N'hésitez pas à revenir ici nous faire partager votre vision des choses !