Great Expectations (1861, Charles Dickens)

Publié le par GouxMathieu

   À tout seigneur, tout honneur : c'est par South Park que je fis jadis la connaissance de ce roman. Il y a, dans cette série, un garçonnet nommé "Pip" ; il révèle dans un épisode que son nom est un hommage au protagoniste des Grandes Espérances ; curieux, je lis le roman ; enfin, il m'inspira de belles choses.

 

 

 

   Le roman d'apprentissage, on le sait, peut rapidement être des plus ennuyeux. Il faut ou bien le talent d'un Balzac, et Illusions Perdues n'est pas sans relation avec celui-ci, ou bien le grinçant de Flaubert, pour élever ces fables au-delà de l'élévation morale que les auteurs bien intentionnés veulent nous offrir. Peut-être ces histoires auraient-elles eu un impact sur l'enfant que j'étais ; mais l'adolescent, puis le jeune adulte que je suis devenu, ne peut que bailler devant ces absurdités vitales.

   Pourtant, Dickens me saisit à la gorge et ne m'a jamais totalement laissé. Certes, la cruauté de ses descriptions de la misère et de la pauvreté vaut bien un Hugo ; cette première personne dissimulant mal l'autobiographie m'attendrit toujours, lorsque je me pique de faire du Michelet et de consulter les monographies offertes ; mais on ne peut nier le manichéisme des situations, la noblesse déraisonnée de ses personnages, les coups de théâtre qui lassent. Pourtant, la sincérité tout finit par grignoter.

   Peut-être suis-je même trop dur en parlant de manichéisme, car il s'agit bien de renversements des valeurs dont il est question. L'ouverture, magistrale, du roman a fait école : Pip, se morfondant devant la tombe de sa mère, est saisi par les mollets et parfaitement renversé par un brigand de passage. Décrire ainsi l'église la pointe en bas, les nuages devenant la chaussée et la terre les cieux, contribue à flouter les frontières que l'on s'imagine pourtant connaître en commençant un tel projet.

   De tous les romans de l'auteur que j'ai donc pu lire, il s'agit alors du plus surprenant peut-être, et de celui qui m'aura personnellement le mieux marqué, et dans ses descriptions des enferges, de la pauvreté crasse et de la noblesse cruelle, mais aussi dans son parcours éthique, philosophique par endroit. Le propos, finalement, ne trahit par ses promesses romantiques : la grandeur est avant tout d'âme et de cœur, les aristocrates peuvent être cruels, les gens de peu plus hauts que les rois mythologiques... mais comme tout cela est enrubanné dans une sorte d'aventure à clé et charpenté par un grand mystère, on se surprend à lire ça "comme un roman", et on en sort finalement davantage heureux que déçu.

   Je suppose, quelque part, qu'il en va pour les anglosaxons de Dickens comme Balzac de notre côté : une sorte de passage obligé, un "auteur réaliste" - même si cette étiquette ne sied sans doute guère ici - qui permet aux professeurs, et à leurs potaches, de mêler littérature, géographie - sociale comme naturelle -, sociologie et histoire dans un ou deux paragraphes judicieusement choisis. On trouvera cependant là moins de longues descriptions des villes et des machines que des dialogues un peu surannés, tout en retenue, bien théâtraux, manquant de naturel : mais l'effet d'étrangeté joue définitivement en sa faveur.

   De la même façon que j'eus à m'identifier à Lucien de Rubempré, je pense qu'on porta sur moi, à un moment donné, "de grandes espérances". Quelque part, je pense les avoir rencontrées ; ailleurs, il me reste encore à les satisfaire, du moins, à m'en approcher assez pour plaire à ceux les ayant exprimées. De Pip, j'admire la grandeur d'âme, sans savoir si je ne la posséderai jamais ; j'admire sa ténacité, que je tente d'acquérir ; j'envie sa bienveillance, dont je ne me sépare jamais. Un modèle ? Sans doute pas. Un idéal, peut-être et sans me l'avouer encore.

 

Commenter cet article