Resident Evil (1996, Shinji Mikami)

Publié le par GouxMathieu

   J'ai beau de ne pas donner la Playstation, première du nom, comme mes plus beaux souvenirs, je ne peux que la reconnaître marquante dans mon histoire de joueur, comme elle le fut pour le média dans sa totalité. En cette précédente fin de siècle, trois de ses jeux marquèrent profondément les regards : il y eut Metal Gear Solid, il y eut Final Fantasy VII ; et il y eut Resident Evil.

 

   On ne peut dénier la qualité, quand elle est immense : et même si ces trois jeux ne font pas partie de mes préférés ni dans l'absolu, ni dans le particulier, je ne peux jamais les oublier. Metal Gear Solid a non seulement créé une mode durable, mais interroge directement ce qui fonde l'identité "jeu vidéo" envers et contre tout ; Final Fantasy VII, j'en ai parlé longtemps sur Grospixels, est peut-être moins fort par endroit que Final Fantasy VI, mais son succès ne s'est jamais démenti. Quant à Resident Evil, l'un des jeux les plus emblématiques de son support, il associe ces aspects magistralement.

   Ce qui m'étonne particulièrement concernant ce premier jeu, dans lequel je me suis replongé par nostalgie d'une part, par opportunisme de l'autre puisqu'un remake du troisième épisode vient juste de nous arriver, c'est la malignité de son histoire, la pesanteur de son gameplay, la roublardise de son propos. Avec ce jeu, la Playstation proposait tout le spectre culturel envisageable : la fable moralisante avec Final Fantasy VII, le post-modernisme avec Metal Gear Solid, et la parodie assumée, avec ces histoires de chiens-zombies, de complots miliaires et de lance-roquettes.

   Ce premier épisode est, en ce sens, particulièrement représentatif de l'essence de la série, tout y est déjà contenu et ce bien que les directions qu'elle prendra ultérieurement, en Espagne ou en Afrique, la feront légèrement obliquer. L'on croit explorer un manoir de zombies ; ce sont en réalité des malades, et il y aura un laboratoire médical dans les sous-sols. On se croyait commandos sur-armés, on sera d'une faiblesse patente face aux monstruosités. On s'attendait à un jeu vite ; chaque mouvement sera d'une lourdeur angoissante. Resident Evil est une histoire de déceptions successives, chaque décision allant définitivement à l'encontre de ce que nous pensions être un "jeu vidéo" en 1996.

   C'est sans doute pour ce type de jeu qu'une lecture historique est, ou devient, nécessaire dans le cadre du jeu vidéo. Il ne s'agit pas simplement de constater, en regardant ces images et ces vidéos, que le jeu "ne fait pas peur". Même s'il produisait son effet en son temps, mais je n'avais que dix ans et mon ombre même pouvait m'effrayer, ce n'est pas là, ni comme cela, qu'il faut le prendre. Resident Evil ne doit pas son succès à son horreur, du moins, ce serait réducteur de n'offrir que cela comme explication : comme toute parodie, et il suffit de regarder l'introduction pour se convaincre qu'il en est bien une, le jeu propose une nouvelle théorie du jeu vidéo, quasi inédite.

   Cette théorie, on peut la résumer rapidement : un jeu vidéo peut s'appuyer sur d'autres mécanismes que ses images, son architecture ou sa musique pour faire passer son message. Que Resident Evil choisisse, même théorise un mode de déplacement, de gestion des dégâts - tant pour nous que pour les ennemis - aussi archaïques, ce n'est pas une errance de jeu ; du moins, on peut accorder à Capcom le bénéfice du doute, compte tenu de son histoire et de son expertise.

   Il n'est pas à dire, évidemment, que Resident Evil fut le premier à faire cela : et comme pour toute forme culturelle, le jeu vidéo, dès son commencement, dès Pong, Space Invaders et Super Mario Bros., a toujours proposé sous une forme ou une autre une réflexion sur ses conditions de réalisation. Mais Resident Evil le fait sous un vernis délicieusement parodique voire "nanar" par endroit, revitalise un genre qui peinait à exister pour telle et telle raison, le propose sur une console à la popularité grandissante : et soudain, la légende naquit.

   Cet épisode inaugural, fait à l'époque, refait dans une version sublime sur Game Cube, n'est sans doute pas mon favori de la série. Je lui ai toujours préféré le second, plus moderne par bien des aspects, ou le quatrième, qui révolutionne et son propos, et son gameplay, sans pour autant compromettre, ou alors mollement, son identité première. Je serai honnête cependant : il ouvrit une boîte de Pandore, qui ne se fermera que bien plus tard et qui faillit détruire définitivement cette saga. On ne peut cependant le mettre de côté, tant il a défini, avec d'autres, le jeu vidéo tel que nous le connaissons aujourd'hui.

   Doit-on cependant y revenir ? Dans son identité première, sans doute pas. Le remake est en revanche bien, bien plus intéressant et encore bizarrement beau, grâce à d'intelligents jeux de lumière et de couleurs qui dissimulent ce qu'il faut, en laissant apparaître le plus beau. Doit-on le connaître ? Absolument : et je gage que tout comme l'on peut s'étonner de l'apparente simplicité qui d'Homère, qui de Chrétien de Troie sur la littérature mondiale, les historiens souligneront avec raison le décalage étrange entre le grotesque de Resident Evil, et le classique qu'il est devenu.

 

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