The Neverhood (1996, Douglas TenNapel)

Publié le par GouxMathieu

   Il y a dans la pâte à modeler un charme propre que l'on ne retrouve nulle part ailleurs, y compris dans les autres techniques d'animation image par image. Que l'on excuse cette semaine le ton fort direct de ce billet, ainsi que le péremptoire de ma déclaration, mais cela restitue bien, ce me semble, le choc sensible que l'on peut ressentir face à The Neverhood.

 

   Sans trop m'avancer, et sans trop même dire que c'est là une vérité absolue, je dirais que les années 90 virent le renouveau de ce genre d'animation toute particulière. Je songe volontiers au Nightmare Before Christmas, aux courts-métrages de Wallace et Gromit mais tout également à The Neverhood qui pousse plus loin encore ce principe plastique.

   Que l'on se représente alors une maquette gigantesque (les images d'illustration de ce billet devraient vous en convaincre), entièrement faite de plasticine et amoureusement dessinée et animée. Que l'on imagine des caméras évoluant dans ces mondes afin de nous faire croire que nous y sommes réellement. Que l'on imagine tout un jeu d'aventure à la Monkey Island ainsi fait, les personnages et les actions diverses ayant été tous modélisés, patiemment, avant d'être intégrés dans ces décors particuliers. Que l'on image une histoire surréaliste, puisqu'à la fois, et cela aurait sans doute fait rire Queneau ou Pérec, peu est dit et trop est dit. Que l'on imagine quelques pistes musicales inspirées tantôt du jazz, tantôt du rock, tantôt du dixie ou du bluegrass, et vous obtiendrez The Neverhood, créature unique et même, bizarrement, effrayante.

   Car au-delà de tout ce principe graphique qui étonne, bien évidemment, et qui a demandé un travail colossal de la part des animateurs, il ne faudrait pas oublier l'intrigue et l'histoire elle-même qui participe pour beaucoup à l'ambiance du jeu.

   Celui-ci commence, de façon étrange déjà, dans une pièce fermée alors que notre héros, Klaymen, est endormi au sol. Une action quelconque du joueur lui permet de se réveiller et rapidement le voilà quitter la pièce et commencer à explorer ce monde superbe. Il faudra cependant attendre presque cinq minutes, résoudre les premières énigmes, pour qu'une cassette vidéo trouvée au sol et lue dans une machine idoine nous apprenne que notre quête existe, mais qu'il nous faudra, comme tout le reste, la découvrir : un certain Willie Trombone, apparemment notre allié, a dissimulé un certain nombre de cassettes qui, mises bout à bout, révèlent notre raison d'être (au figuré, comme au propre). Nous devrons alors explorer cette terre étrange, ce Neverhood, ce "pays de nulle part" qui ressemblerait presque à un rêve d'Edgar Poe, et il n'est pas dit que nous en ressortions indemnes.

   Je disais plus haut que le jeu en disait peu, et qu'il en disait trop. Il en dit peu, effectivement ; et rares sont les jeux d'aventure qui se montrent si peu loquaces. Presque, je le rapprocherai de Loom qui savait, également, se dissimuler ou, du moins, qui ne révélait que peu la géographie de son monde. L'on retrouve alors de cela : et nous d'accepter, plus qu'on ne les devine ou ne les comprend, les règles qui régissent cette dimension parallèle. Le personnage principal sera muet, entièrement, explosera de joie ou de douleur ponctuellement, mais rien de plus ; et même, l'interface sera fort épurée puisqu'on n'utilisera, bon an, mal an, que le clic gauche de sa souris.

   Mais, à l'inverse, le jeu en dit trop : l'histoire de Willie Trombone, bien entendu, qui nous donne, sur un plateau, tous les tenants et aboutissants de l'intrigue, en est l'illustration, mais ce sont surtout The Neverhood Chronicles qui ont fait rentrer le jeu dans l'histoire.

   Il s'agit d'une immense bâtisse, située non loin du début du jeu, qui se fait longue d'une quarantaine d'écrans. Sur ses murs, une histoire ou, plutôt, une épopée, une cosmogonie : rien de plus que toute la création de cet univers, l'apparition de son Dieu créateur et de ses multiples enfants, démiurges de même, et des légendes qui y survinrent. Pour vous donner une idée de la longueur de la chose, cela a été retranscrit ici : personnellement, et bien que me présentant comme un ogre de Littérature, il m'aura fallu m'y reprendre à plusieurs fois pour la parcourir.

   Dans le jeu même, la chose est plus douloureuse à mener : le texte est organisé en colonnes, et il faut à chaque fois revenir dans l'écran de jeu, avancer un peu, lire la seconde colonne, et ainsi de suite. Cela est long, laborieux, douloureux même par moment, obligatoire cependant car au terme du corridor l'on trouve l'une des fameuses cassettes, et toutes les obtenir est nécessaire pour finir le jeu.

   Même si la lecture de cette œuvre est facultative, elle participe grandement, tout comme la musique, les couleurs, l'humour du jeu, à son ambiance et à son originalité : il serait dommage d'en faire l'impasse. De plus, cela vient éclaircir certains choix architecturaux et même la présence de certains protagonistes, et il n'est pas dit que l'on comprenne parfaitement toute l'histoire si l'on oublie de lire ceci.

   En réalité, The Neverhood fait volontiers partie de ces jeux qui, et cela peut surprendre les gens qui le connaissent, se prennent toujours au sérieux et ils sont finalement rares dans ce média, bien plus qu'on ne le croit. Il se prend au sérieux non dans la mesure où il aborde des thématiques graves et pesantes, ou bien parce qu'on y pleure (au contraire, on rit beaucoup dans The Neverhood), mais parce que les créateurs ont pris un malin plaisir à justifier constamment, au sein de leur univers, des choix de gameplay et des ficelles souvent utilisées par le jeu vidéo sans être remis en question.

   De la façon dont Klaymen se déforme ou récupère les objets à la présence constante d'énigmes ou la nécessité de faire autant d'aller-retours, tout est justifié ici : et il est finalement assez drôle de penser qu'un jeu qui traite énormément de création et de démiurges élimine d'office l'idée qu'il pourrait exister, ailleurs, des modeleurs et des graphistes, bref, des êtres humains qui ont créé tout cela.

   En soi, The Neverhood serait une forme pure et maligne d'imagination, et cela n'est pas pour rien que sa bande originale se nomme, précisément, Imaginarium : c'est une magie créatrice et absolue, et elle n'a besoin de rien, pas même que nous y croyions, pour exister.

 

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