The Fly (1986, David Cronenberg)

Publié le par GouxMathieu

   Les vacances se terminant, reprenons nos travaux de toile. Pour cette rentrée, intéressons-nous, une fois n'est pas coutume, à un film d'horreur. J'ai déjà évoqué ce genre, et la facilité qu'il peut avoir à aborder de nombreux thèmes sociaux, par l'intermédiaire de la saga des Nightmare on Elm Street : j'y reviens alors avec un autre grand classique, la version de 1986 de The Fly.

 

 

 

      Si je viens préciser "la version de...", c'est que la version de David Cronenberg est bel et bien un remake d'un film plus ancien, de 1958, lui-même adaptation d'un roman. Le synopsis, le principe premier, est le même : un inventeur génial, créant un système de téléportation, essaie ce dernier sans savoir qu'une mouche s'est glissée avec lui dans la capsule ; comme le dit alors l'une des taglines du film, "something went wrong".

   Si l'histoire globale est la même, une différence de taille se doit d'être relevée : dans la version originelle, mouche et être humain échangeaient leur tête, le film versant alors du côté de la "série B" et des créatures monstrueuses (en soi, nous ne sommes guère loin de King Kong, c'est-à-dire que l'on suit une créature qui a l'apparence d'un être humain sans en être un parfaitement). Dans la version de Cronenberg, les deux êtres ont fusionné et progressivement deviennent un et un seul : Seth Brundle, joué par un Jeff Goldblum dérangeant de justesse, devient "BrundleFly", une mouche monstrueuse de taille humaine, et le spectateur de voir, lentement, sa métamorphose cruelle.

   Les années 1980, il faut le reconnaître et concernant le genre horrifique tout du moins, sont fascinées par la transformation, par le mal qui ronge de l'intérieur et qui finit par détruire son hôte. Quelques années auparavant, John Carpenter nous avait donné une refonte de The Thing, à nouveau en faisant d'une créature à l'apparence étrange un récit en huis-clos où l'on ne saurait juger de l'identité du mal ; et encore avant, Alien évoquait déjà, bien qu'en s'en détournant rapidement, cette problématique intrigante.

   Si je devais élaborer une hypothèse, si je devais lire, derrière ce symbole, ce qu'il est censé évoquer, j'irais bien volontiers du côté de l'épidémie de SIDA qui débuta (officiellement) en 1981 aux États-Unis, voire du côté des cancers qui se développent du fait de l'allongement de l'espérance de vie, de la vie moderne et de ses produits dangereux pour l'Homme. Après tout, ces maladies, et c'est bien là l'horrible les concernant, de se dissimuler des années durant, sans signes extérieurs, avant de brutalement apparaître et distordre leur hôte, le conduisant invariablement à la mort : comment ne pas voir, alors, le lien avec cette histoire de mouche qui, petit à petit, transforme jusqu'à le tuer celui qu'elle a "infecté" ?

   Bien évidemment, l'autre grande interprétation du film de Cronenberg, mais cela est assez évident à ce qu'il me semble, est celle d'une allégorie de ce grand naufrage qu'est la vieillesse, pour reprendre un mot de Chateaubriand. La peau change de couleur, les dents tombent, les oreilles de même (on ne peut voir illustration plus littérale de la surdité), le corps au fur et à mesure de se courber, de s'approcher davantage encore du sol avant de disparaître.

    L'on a également évoqué, du moins cela paraît assez clair dans certains plans, l'influence de Notre-Dame de Paris et du personnage de Quasimodo, sans doute : mais contrairement à ce dernier, il ne s'agit pas de trouver l'humanité tapie derrière la laideur mais bien, pour Seth Brundle, de conserver cette humanité première malgré sa déliquescence.

   Il y a quelque chose de pathétique, de tragique même dans le sens plein du terme, dans The Fly. Nous sommes là, impuissants, à observer la longue, très longue descente d'un personnage qui ne peut être sauvé et, plus encore, qui se mue devant nos yeux en méchant homme. The Thing, malgré le peu d'espoir de sa scène finale, entretient longtemps l'illusion d'une issue agréable ; et nombre de films d'horreur font en sorte de laisser survivre ne serait-ce qu'un personnage. Ici, tout sera perdu, mort, désolé.

   Il faut alors noter à quel point l'écriture cisaille l'action, combien il n'est nulle intrigue secondaire, nul gras à jeter : il est toujours question de Seth Brundle et de la mouche, et même le "trio amoureux", classique pourtant, d'être l'étincelle qui crée cette situation inextricable, tous les nœuds se serrant autant que faire se peut. Et lorsqu'après quatre-vingt-dix minutes de film le noir se fait, et quand bien même l'on pourrait se demander ce qu'il adviendra de ceux toujours en vie, une grande sensation de tristesse bien entendu, mais aussi de complétude grandit dans notre cœur.

   Il est des films qui se veulent porteurs d'un "message" ou d'une morale, et d'être alors l'illustration de celle-ci. Il en est d'autres qui prennent parti pour l'un ou l'autre côté de la barricade et se lancent alors dans de grands plaidoyers. The Fly serait, quant à lui, un film épidictique, descriptif, se contentant de relater le devenir de toute chose, la mort prochaine qui nous frappera tous autant que nous sommes.

   Et même s'il est une beauté à une charogne au fond d'un fossé, elle ne sera jamais que la dépouille d'une chose qui fut, et qui ne sera jamais plus. 

 

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