Looking for Eric (2009, Ken Loach)

Publié le par GouxMathieu

   On dira, et on pensera, ce que l'on voudra du football : force est de constater que son effet, sur la société et ses amateurices, est aujourd'hui énorme. Si on peut l'associer à nombre de débordements, il peut également être source de joie et d'espérance pour d'autres. Looking for Eric explore peut-être cette ambiguïté tout en offrant des chances de rédemption, à ses personnages comme à ses figures tutélaires.

 

   Ken Loach, britannique, socialiste, cinéaste, est notamment connu pour ses films dépeignant une lutte sociale de fond, qui déchire le Royaume-Uni depuis des décennies. On y montre des ouvriers et ouvrières, des prolétaires, des déclassé.e.s, des défavorisé.e.s de toutes sortes : et, finalement, de trouver une lueur d'espérance qui dans l'amitié, qui dans l'amour ou la solidarité. Tire-larmes peut-être, facile, sans doute : mais en excusant le miroir nécessairement elliptique du cinéma, on se plaît à raisonner, à s'indigner et à comprendre.

   Ici néanmoins, l'histoire se fait un peu plus personnelle, un peu plus intimiste. Looking for Eric nous fait suivre un postier et son aréopage, un bougre aimant la bière, la cigarette et, bien entendu, le football dans cette ville de Manchester qui en a fait tout un art. Tandis que sa vie se délite, tandis que ses beaux-fils filent de mauvais cotons, le voilà être visité par nul autre qu'Éric Cantona, entre apparition et conscience, qui l'aidera à remettre les choses en place.

   Son souvenir est peut-être perdu, ou bien inconnu des plus jeunes : mais fut un temps où Éric Cantona, après Michel Platini, avant Zinedine Zidane, était le plus grand joueur de football au monde. Mais ce n'est pas seulement pour ses talents qu'on le citait régulièrement, mais également pour ses excès de colère, ses frasques, ses sorties étranges et empruntes d'une philosophie lointaine. Que n'aura-t-on commenté, analysé, que ne se sera-t-on pas moqué de sa sortie sur les mouettes et les chalutiers !

   Quelque part, et avec toute la folie médiatique qui s'était emparée de ce qui n'était plus un joueur, un homme, mais un mythe, une statue, une abstraction, s'est-on ici rappelé ce qu'il était réellement. Il est alors curieux de penser, mais c'est là aussi le charme de ce long-métrage, que le Cantona fantomatique que nous offre Ken Loach, malgré ses philosophies mi-orientales, mi-ironiques, semble finalement plus humain que le joueur qui évolua jadis sur les pelouses autour du globe.

   Au regard, dès lors, des autres films du réalisateur, Looking of Eric est comme une anomalie, comme une inversion de ce à quoi on s'attendrait. Ailleurs, dans I, Daniel Blake ou dans My Name is Joe, la société, dans tout ce qu'elle a plus de abstraite, de plus tentaculaire et bureaucratique, déshumanisée, est un ennemi que l'on ne peut affronter car multiple, car partout ; là, les adversaires à affronter, fût-il une sorte de mafieux ridicule ou une ancienne amour, sont désespérément humains : cela ne les rend pourtant pas moins dangereux.

   On aurait pu s'attendre, comme je m'y attendais, à ce que la présence grotesque d'Éric Cantona fasse vriller la chose vers le fantastique ; ou que l'intrigue, voguant entre petite ou moyenne délinquance et histoire d'amour déçue, ne sombre dans l'invraisemblable, le détachement, le flottant. Rien de tout cela pourtant : et c'est avec un sincère intérêt, et une sensibilité accrue, que je suivais les tribulations de ce pauvre hère et me moquais, comme il se moque de lui-même, d'un Cantona plus impénétrable que jamais.

   Jadis, j'avais entendu quelque chose comme "est-il possible de faire un film de gauche qui ne soit pas ennuyeux ?" Vrai est que l'on tombe facilement, à ce sujet, ou bien dans le larmoyant, ou bien dans le moralisateur : et on finit par ressortir plus énervé qu'accompli, plus agacé qu'élevé. Ken Loach, pourtant, parvient toujours à éviter ces écueils en se concentrant sur l'humain, sur des figures de corps et de sang, aux intérêts mondains, aux colères vivantes.

   Looking for Eric n'est sans doute point son chef d'œuvre, et sans doute fera-t-on bien de commencer par autre chose pour avoir une belle idée de son style et de sa politique. Mais par cette intrusion formidable de ce joueur de légende, de cette personnalité plus grande que la vie, pour reprendre une expression anglaise, il y a comme un accès plus simple à la poésie qui, malgré tout, ne cesse de sourdre de son écriture.

 

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