L'Origine du Monde (2016, Liv Strömquist)

Publié le par GouxMathieu

   Une récente conférence, organisée par une mienne amie et portant sur l'imaginaire associé aux menstrues dans diverses civilisations, m'a fait me ressouvenir de cet ouvrage magistral, portant aussi sur la question, mais peut-être d'un point de vue davantage socio-culturel qu'ethnologique ou anthropologique.

 

   Je suis toujours, à la fois, effaré et surpris d'apprendre qu'il est encore un tabou sur les règles et le cycle menstruel, comme s'il s'agissait de quelque chose de sale ou de répugnant, de honteux, à dissimuler absolument. Je me souviens, petit encore, m'étonner auprès de ma mère qu'à la télévision, le sang des serviettes promues se faisait bleu ou vert, alors qu'il était bel et bien rouge pour les pansements et que sais-je.

   Je n'ai jamais bien compris comment quelque chose qui concernait, directement, plus de la moitié de l'humanité, et indirectement tout le reste, pouvait être aussi étrangement vilipendé. Ou plutôt si, je le pressentais : misogynie, patriarcat, sexisme... des notions que je découvrais alors et dont j'affinais, et dont j'affine, progressivement, la compréhension.

   Entre d'autres initiations, l'ouvrage de Liv Strömquist est sans doute l'un des meilleurs que je puis connaître. Mélange cultivé et décomplexé, sans jamais verser dans le grivois ou la mandarinade, l'on navigue des plus récentes théories sur les plus anciennes civilisations en passant par le domaine de l'art, de la vie en société et de la médecine sans s'en rendre compte et, surtout en en découvrant davantage à chaque page. Notamment, l'association souvent vue, entre la figure féminine et la lune, que je ne voyais jusqu'à présent que comme une conséquence de la complémentarité du soleil masculin, s'explique ici autrement par l'association entre le cycle menstruel et le cycle lunaire, tous deux de vingt-huit jours. Cela semblera évident pour nombre, mais j'étais ignorant : je fus alors davantage sachant.

   Bien entendu, le sujet est loin d'être nouveau, et déjà Simone de Beauvoir de consacrer une partie non-négligeable du premier volume de son Deuxième sexe à ce sujet qui a joué un rôle déterminant dans la façon dont les femmes ont été, dans nombre de civilisations, socialisées, considérées, représentées, envisagées, construites, enfin. Le dessin ici contredira ceux qui regrettent l'austère de cet ouvrage, tant le style de la dessinatrice appuie sans fard un propos d'une élégance certaine.

   Sans doute, c'est encore toutes ces parties historiques, évoquant qui Saint-Augustin, qui les médecins positivistes jusqu'aux législateurs contemporains, qui m'intéressèrent le plus. Comme l'autrice le souligne avec un certain humour, il est curieux de voir que ce sont, alors, des hommes d'une rigueur impénétrable quant aux choses du sexe qui aient passé autant de temps à penser aux sexes des femmes. Il serait sans doute incorrect de projeter sur ces écrivains des considérations psychanalytiques modernes ; mais on n'aura sans doute pas tort de les considérer cependant comme des frustrés en puissance.

   Il y a quelque chose de salvateur dans cet ouvrage, à ce que je crois. Si la théorisation, la pensée, la lutte est toujours nécessaire, l'humour, le sarcasme, la parodie, a raison de l'accompagner autant que faire se peut. Il ne s'agit pas de rendre le propos comestible pour le potentiel impétrant, ni de l'enrubanner pour les sceptiques : ceux-là devront se confronter à la dure réalité. Mais le rire rendra la révolution bien plus charmante quand on contemplera les têtes sur les pieux.

 

Commenter cet article