The Simpsons (1989 - 1997, Matt Groening et al.)

Publié le par GouxMathieu

   Il fallait bien en discuter un jour ; et puisque la série a été importante pour moi comme elle le fut, à dire vrai, pour la télévision en général, et que je m'y replonge ces jours-ci, parlons-en. Comme nombre, je ne serai qui je suis à présent sans les Simpson ; et même si d'autres séries d'animation, depuis, ont pris la suite, les Simpson demeurent.

 

   Je ne serai pas non plus des plus originaux en ne considérant ici que les huit premières saisons de cette série fleuve qui se poursuit encore, contre toute logique à dire vrai. Je m'arrête ici sur ce que les critiques ont depuis appelé "Classic Simpsons", la suite étant désignée comme étant les "Zombie Simpson". Partant, je ne m'arrête vraiment que sur les huit premières années de cette série, celles qui furent les plus populaires et celles qui furent les mieux récompensées.

   En les revoyant, et chronologiquement du reste, je n'ai pu qu'apprécier leur intelligence, leur rogne parfois, leur satire mordante ; petit, bien des choses m'échappaient. Ma mère, avec laquelle souvent je regardais ces épisodes lorsque la télévision les diffusait, voyait-elle tout cela ? Savait-elle que ces épisodes, progressivement, forgeaient et mon humour, et mon sentiment politique, et ma sensibilité ?

   Il faut le rappeler, car hélas le capitalisme passa par là : mais avant d'être ce mastodonte du consumérisme, les Simpson furent la contre-culture, ils furent une attaque intelligente face à tout ce que l'hégémonie culturelle mondiale, américaine notamment, proposait comme horizon de l'existence humaine. Ils furent South Park avant South Park ; différence étant, les gamins du Colorado restèrent attachés à la critique politique alors que les Simpson disparurent et furent, finalement, avalés par tout ce qu'ils conchiaient auparavant.

   Il y a donc comme une grande mélancolie, mais également une grande nostalgie, à regarder à nouveau ces épisodes. Contrairement à des séries plus récentes, les Simpson, on le saura, ne se sont jamais guère préoccupés d'une quelconque continuité, à l'exception de l'un ou l'autre événement matriciel, une rencontre amoureuse ou l'origine d'une vengeance : ils vivent dans une sorte de nébuleuse immobile, dans un temps indéterminé, une stase de l'humanité des années 1990. Pendant une dizaine d'années, l'illusion pouvait être totale : mais au-delà, cette fenêtre devient un purgatoire détestable et il m'est à présent douloureux, physiquement douloureux de voir des épisodes nouveaux. C'est comme voir un torturé, un martyr désireux qu'on l'achève, c'est Prométhée au Caucase enchaîné : et je ne peux qu'assister à sa douleur, sans avoir la possibilité d'abréger ses souffrances.

   Mais cette mélancolie, qui apparaît en comparant ces épisodes à leurs futurs, se change en nostalgie, quand je les mesure à mon passé. Je me revois, enfant d'abord, adolescent ensuite, les regarder religieusement, plusieurs fois même souvent : Canal + les rediffusait régulièrement - dans mes souvenirs, il y avait une première diffusion le samedi soir, puis une seconde le dimanche en début d'après-midi ; d'autres fois la semaine subséquente sans doute, mais je ne puis l'affirmer. Parfois, ma mère m'achetait une VHS officielle contenant quatre ou cinq épisodes, mollement reliés thématiquement ; et moi-même, lorsque je voyais le samedi que l'épisode était important ou intéressant, je l'enregistrais le lendemain pour le conserver au mieux. Que ne savais-je que quelque vingt ans plus tard, je pouvais les consulter des plus facilement grâce à l'Internet !

   Je m'aperçois alors à quel point certaines répliques, certaines intonations, certains regards font à présent intégralement parties de moi. Mon identité est si bien chevillée à cette écriture qu'il m'a fallu réentendre ces vieux épisodes pour me rendre compte de l'origine de certaines expressions que je répète à l'envi. J'avais oublié, à côté de Hugo, à côté de Donkey Kong et d'autres, à quel point les Simpson ont sédimenté mon rapport au monde, à la culture et à celles et ceux qui la font.

   Je n'irai cependant pas jusqu'à dire que la série, même en ne considérant que ses huit premières saisons, est immortelle et parfaite. Certains épisodes sont lambins ou faciles, d'autres, plus fortement entés à l'actualité, sont à présent quasi incompréhensibles ou, du moins, demandent une recontextualisation certaine. Même, sensibilité culturelle avançant, certaines caricatures, et certains personnages, ont davantage vieilli que d'autres. C'est là le lot de toutes les œuvres, et aucune ne doit être à l'abri de la relecture et de la réanalyse : mais même en enlevant le problématique et le moins bon, ce qui est reste est l'essentiel, ce qui reste demeure incontestablement intelligent.

   Des années plus tard, et le confort de l'évolution aidant, il est intéressant de comparer les Simpson avec Futurama, autre grand projet de Matt Groening mais peut-être plus concentré, moins diffus, plus continu ne serait-ce. On retrouve beaucoup de choses communes, évidemment, une grand partage d'esprit et de propos. Mais quand bien même trouverais-je Futurama supérieur dans sa totalité, Les Simpson m'est plus agréable dans son détail. Je puis prendre n'importe quel épisode de la famille américaine et rire toujours à gorge déployée : mais je me lasse rapidement. En revanche, j'avale Futurama par marathon, et je me sens finalement plus grandi par son parcours. Pour ainsi dire, le premier éveille ; mais le second construit.

   C'est alors cela que je retiendrai, du moins, c'est ainsi que je le verrai à présent. À l'époque, Les Simpson étaient les seuls : il fallait donc bien les prendre totalement. Mais à présent, comme ils sont les ancêtres, les origines, la première respiration d'une écriture qui a conduit aux Daria, aux Bojack Horseman, aux Rick & Morty, ses compromis se voient davantage, sa facilité et son irrégularité sont moins pardonnables : mais je le recommande néanmoins pour une belle éducation à la chose, avant d'aller voir ailleurs. Après tout, on ne saurait entièrement aimer le Quichotte sans avoir lu Chrétien de Troie.

   Je redonne cependant ce conseil inaugural, et les critiques ont raison : ne jamais dépasser la huitième saison, et considérer la série comme bel et bien achevée. On finit toujours par s'accrocher à ces personnages, ils en deviennent vivants, du moins, aussi vivants que peuvent l'être des êtres de fiction. Ils m'ont accompagné en grandissant, je les ai mis de côté pour aller explorer d'autres rivages, je reviens vers eux comme en un retour au pays natal ; et certes, ce mur est moins haut que dans mes souvenirs, et cette odeur moins agréable. Mais ce soleil est unique, et cette couleur, je ne l'ai revue nulle part : une fois encore je m'amuse, et ris même de nouvelles choses qui jadis m'avaient échappé.

 

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