Final Fantasy VI (1994, Squaresoft)

Publié le par GouxMathieu

   Mon rapport au jeu de rôle japonais ("JRPG") est assez étrange, lorsque j'y songe : bien que l'ayant découvert assez tard, avec Final Fantasy VII surtout, j'ai pour lui une tendresse voisine d'autres véritables souvenirs d'enfance. La chose doit faire vibrer un bout de cœur inviolé, qui ne bat que pour la magie, les princes et les chevalières. Final Fantasy VI travaille à fond cette appétence, mais lui apporte également quelque chose de plus.

 

   Dans un article pour Grospixels, j'étais rapidement revenu sur l'émerveillement, l'exaltation, la surprise que constituait l'arrivée dans nos contrées de Final Fantasy VII, jeu à l'importance considérable pour le média et les esprits. Après sa découverte initiale, je revenais vers les six autres épisodes de cette série fleuve qui aujourd'hui encore se poursuit, je plongeais avec étonnement dans sa numérologie compliquée, je peinais sur la rudesse des épisodes inauguraux qui, non sans charme, loin s'en faut, avaient de ces choix de gameplay et d'écriture qui décontenançaient, même à l'époque. Et puis, il y eut Final Fantasy VI, que je fis alors grâce à une traduction amatrice du plus bel effet avant que l'éditeur ne se fende, au prix d'une réédition, d'une adaptation légitime.

   On présentait l'épisode, et c'est encore là quelque chose de couramment admis, comme le plus réussi de la saga. Il est toujours difficile de mesurer objectivement ce type d'analyse, tant les jeux de la série se suivent et se ressemblent ; c'est cependant leurs marges qui les distinguent et ici, ce n'est guère plus qu'une question d'appréciation personnelle. Véritablement, je me suis forgé cette opinion, que le préféré de la série, pour l'un ou l'une, c'était le premier auquel ielles avaient joué. Je ne fais guère exception à cette règle, même si je vois toute l'intelligence du sixième épisode qui au-delà de ses principales qualités, fut comme matriciel et pour la saga entière, et pour le genre en général.

   Car il y a comme quelque chose d'inédit dans Final Fantasy VI, quelque chose qui fait penser à la naissance d'un genre. C'est comme aller voir un film pour la première fois, ou découvrir un roman : tout était pourtant fait, tous les éléments étaient pourtant connus ; mais leur mélange et leur adaptation les rendent comme nouveaux, comme juste sortis de la boue primordiale. Aussi, c'était là le sixième épisode de la série ; au Japon ne serait-ce, moindrement aux États-Unis et en Europe, leur réputation était faite ; le système de combat mélangeant temps réel et tour à tour, d'une ridicule efficacité, avait déjà été introduit, tout au plus est-il rôdé ; même, finalement, les fulgurances scénaristiques les plus notables, les enlèvements et les apocalypses, avaient déjà été faits, bien qu'en mode mineur.

   Mais il y a quelque chose ici du période du genre, une sorte d'évidence de la forme et du fond qui m'avait étonné, tout comme il avait étonné chacun et chacune jadis. C'est en vérité assez difficile à expliquer : mais dans ce jeu choral qu'est Final Fantasy VI, dans sa rondeur et son efficacité, il y a comme une étincelle de magie que l'on retrouve dans certaines œuvres uniquement et non ailleurs. Ce n'est pas que le jeu est parfait, aucun ne saurait prétendre à cette apostille ; mais ses défauts sont suffisamment bien dissimulés, ou suffisamment bien détournés, pour en devenir comme invisibles ou, du moins, négligeables. 

   Certes, le bestiaire est parfois un peu paresseux ; mais le dessin est assez beau pour nous le faire oublier. Bien entendu, les menus sont parfois confus et lourds ; mais la joie de voir ses héros et héroïnes progresser est palpable. Il faut le dire, l'histoire est parfois maladroite dans sa progression, caricaturale dans ses intentions, malheureuse dans sa compréhension : mais elle n'a aucunement honte de sa mise en scène et trahit une sincérité touchante qu'on aime à rencontrer, même si à mi-mot. Certes, la scène de l'opéra, cette introduction enneigée, cette fin du monde imprévue et ce dernier affrontement d'une marque toute divine, sont des morceaux de bravoure rarement reproduits et dont on scande encore les mérites ; mais retenir ce jeu pour ces uniques moments serait, à mon sens, assez triste.

   Car il y a là davantage que des perles colorées, c'est tout le collier qui est à observer ; si les pierres qui le construisent ne sont pas plus brillantes qu'ailleurs, leur juxtaposition les rend chacune nécessaire, le tout est davantage que la somme des parties. Les joueurs et les joueuses connaissent bien cet effet, lorsqu'on refait une aventure, il y a toujours "ce" niveau, "ce" moment, plus difficile, plus imbécile, plus fragile que les autres et qui est comme une mauvaise scorie, une dartre que l'on redoute : je n'ai jamais ressenti ça en faisant, refaisant, refaisant encore Final Fantasy VI. S'il n'est pas le jeu que j'ai le plus souvent refait, A Link to the Past gardant encore ce titre, il est sans doute le "J-RPG" que j'ai le plus fréquenté ; et comme je le disais, pour moi qui appris le genre que très tardivement, c'est suffisamment notable pour être précisé.

   Il est alors des petits moments, et des plus grandes victoires, qui m'ont fortement impressionné lorsque je fis le jeu en émulation, et que je découvris depuis par l'intermédiaire des sorties officielles du jeu sous nos latitudes. Il y a cet empoisonnement de l'eau de tout un village, pour tuer des résistants sans mal ; ce train fantôme étrangement triste ; ce cabanon reclus, où l'on mourra de faim. Parmi les grandes quêtes, les destinées et les mystères, il y a aussi du petit et de l'humain, du ridicule, de la peur et de la tristesse. Certes, ce type de jeu de rôle n'oublie jamais de consacrer tel et tel moment de son économie au développement de ses personnages ; mais j'ai toujours eu comme cette sensation qu'autant la plupart de ces jeux faisaient de l'humain l'accompagnateur de leur histoire, autant Final Fantasy VI est l'un des rares à en faire l'arc-boutant de sa progression.

   C'est peut-être là où je situe sa sincérité, ce que je comprends le mieux de sa progression. Il en est d'autres qui épousent cette image, je pense à Chrono Trigger, à Majora's Mask également, et il n'est pas surprenant de les trouver alors souvent dans les listes des jeux les plus marquants du média. Il est vrai que son retour peut parfois être compliqué, du moins, on remerciera l'émulation de permettre, grâce aux sauvegardes d'état, d'accélérer et de faciliter le processus. Mais je pense encore que si l'on devait donner à un ou une telle un exemple de ce que le jeu vidéo a su faire de mieux ici, on donnerait Final Fantasy VI. Il me semble aujourd'hui que le jeu disparaisse des mémoires collectives au profit qui du septième épisode, dont le remake a été annoncé à grande pompe, qui du dixième, qui fut l'étendard de toute une génération, aujourd'hui particulièrement vocale, notamment sur Internet. Final Fantasy VI arrivait à la fin d'une époque, d'une génération de consoles, il représentait la finalité de ce que l'on croyait possible de faire en termes de narration et d'émotion dans le jeu vidéo : évidemment, on aura été par la suite trompés. Mais qui, en 1994, aurait pu le dire ? Heureusement, il n'est guère besoin d'être historien pour profiter de ce jeu, et amateurices comme impétrant.e.s pourront s'y plonger, avec curiosité sans doute, avec plaisir sûrement.

 

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