Discworld II: Mortellement vôtre (1996, Perfect Entertainment)

Publié le par GouxMathieu

   Le jeu vidéo a toujours su flirter avec les autres arts issus de l'esprit humain, la peinture, la musique, d'autres choses encore : mais finalement, peu la littérature, à raison peut-être. Il est plus difficile d'adapter un film qu'un roman, même s'il y eut bien des tentatives. Parmi les meilleures, Discworld II, l'un des plus grands jeux d'aventure que je puis connaître.

 

   J'en avais beaucoup parlé, jadis, sur GrosPixels ; mais la trilogie des jeux Discworld forgea passionnément mon esprit, mon humour et ma culture et ce à un moment où, étrangement, je ne connaissais absolument pas, ou pas encore tout du moins, les romans qui leur donnèrent le jour. Je les connaissais de nom, leur renommée était tombée jusqu'à moi, qui n'avais que dix ou onze ans à l'époque ; mais c'était par ces jeux que je connus leur univers.

   Des trois, même si je les aime tous avec une brûlante passion, c'est vers le second que je viens ici, non car il est, de tous, le mieux écrit ni même le plus difficile, quoiqu'on pourra toujours arguer de savoir quel fut le meilleur, quel fut le moins bon : mais parce qu'il s'agit du premier en français, et son doublage est le meilleur en ma langue. Pensez ! Roger Carel en Rincevent, Joëlle Guigui, Philippe Peythieu, Marie Ruggeri ; c'était là un casting extraordinaire, tout contenu dans une aventure déjantée.

   Comme l'épisode antécédent, mais non comme l'épisode subséquent, l'intrigue est adaptée de la fusion de deux romans, Reaper Man d'une part, consacré au personnage de la Mort, et Moving Pictures d'autre part, pour l'innovation, amorcée dans le jeu précédent, qui bouleversa l'imaginaire du disque-monde, les "clic-clac" (clickies), ces films qui captivèrent l'imagination de chacun et de chacune. Rincevent devra, grâce à cette technologie nouvelle, redorer l'image de la Mort : se sentant mal considérée dans son travail, elle ("il" plutôt, comme il s'agit d'un homme dans cet univers) décide effectivement de prendre des vacances, et s'interdit de faucher les âmes errantes, transformant les récents décédés en morts-vivants désabusés.

   On passera rapidement sur le grand-guignolesque de cette situation, et on ira rapidement sur l'allégorie, qui n'est évidemment jamais loin quand on parle de ces grands concepts naturels : le Disque-Monde a beau être un univers singulier, il partage avec ceux de Carroll le goût de la caricature et de la référence en miroir, et leurs errances sont bien entendu les nôtres, déformées et grossies, déplacées (soit, par essence, métaphorisées). Il y a de la philosophie ici, montaignienne surtout, dans ce sens qu'elle apprend à mourir ; ou plutôt, elle apprend à aimer la mort, même si le temps d'un long-métrage.

   En refaisant le jeu récemment, je me rendis compte à quel point je me souvenais de tout, ou presque, mais inconsciemment, sous la barrière tantôt faible, tantôt forte, du souvenir d'enfance. Il suffisait d'entendre les premières notes d'une musique, de voir la couleur d'un personnage ou d'un objet, de réentendre des échanges truculents, des dialogues parfois plus ou moins maladroitement adaptés ; pour me voir une nouvelle fois enfant, dans la cuisine parentale, la console branchée sur un petit écran - le grand du salon était interdit aux consoles, "ça les abîme", disait ma mère. Pour un peu, les odeurs me revenaient, et l'inquiétude du contrôle de mathématiques du lendemain.

   Les souvenirs demeurent, je pense, la meilleure façon d'accéder au jeu du reste, tant il est difficile, confus, étrange. Il fait davantage d'efforts pour nous guider, le précédent étant terrifiant d'arbitraire ; mais je recommande aux débutantes et débutants de se procurer une solution avant de s'y risquer. Plongez, écoutez tous les dialogues, décrivez tous les objets, creusez-vous la tête, puis abandonnez au risque de vous agacer. Nous mourrons tous et toutes un jour, demain ou plus tard : ça ne vaut pas la peine de s'énerver contre des pixels, aussi beaux soient-ils.

 

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