Warriors of the World (2002, Manowar)

Publié le par GouxMathieu

   Plus le temps passe, plus je me rends compte que j'affectionne particulièrement les œuvres et les artistes qui affectent un détachement sur leur travail, et qui se voient agir. Ce peut être une réflexion performative, la moitié de mes idoles fait souvent cela ; mais ce peut être aussi grand-guignolesque, et c'est ce que fait l'autre moitié.

 

   Manowar, dès lors, de participer de cette seconde mouvance. Il y a quelque chose, chez eux, qui préfigure Dethklok, même si cela s'est sans doute fait empiriquement. J'ai quelques fois repéré ça, dans les univers affectant une virilité extraordinaire, des muscles hypertrophiés jusqu'au petit orteil, des épées longues et enflammées. Bientôt, soit la charge érotique en devient si forte qu'elle en est touchante, soit la parodie et la distance salutaire finit par phagocyter tout le reste par son exubérance. Ne faire ni l'un, ni l'autre, c'est se risquer sur une imagerie qui a quelques relents fascistes, ou du moins qui y tend : je ne crois pas que ce soit parfaitement le cas ici.

   Vrai que Manowar aime les guerres et les épées, et les beaux poitrails musclés qui se dessinent derrière des drapeaux aux couleurs multiples ; leurs paroles évoquent des batailles contre des adversaires indistincts, de sacrifices au nom de tel ou tel dieu issu d'un panthéon nordique, de femmes se déchirant les joues de douleur comme dans la Vie d'Alexandre de Quinte-Curce. Je ne pense pas que tout cela, cependant, soit bien sérieux.

   Le fait, précisément, que tout ce qui est décrit ici soit particulièrement nébuleux me pousse à allégoriser ce propos. Au contraire d'autres sagas épiques, comme celles de Rhapsody par exemple, ou même des Flower Kings ou de King Crimson, dans un autre genre il est vrai, la narration dans Manowar, dans Warriors of the World ne serait-ce, est plus irrégulière qu'il n'y paraît : que l'on passe, ainsi, d'un hommage à la mère d'un musicien, "Nessun Dorma", fort touchant du reste, à une reprise de la "An American Trilogy" avant d'appeler à un rassemblement mondial des torses musclés... Difficile d'y voir ici autre chose qu'une belle collection de puissance musicale.

   On peut penser à Wagner d'ailleurs, ce serait peut-être la chose la plus proche de l'esprit du groupe, et de cet album. Alors, bien entendu, on sait qu'il était tristement de son temps parfois, et exploité souvent, au premier degré, par de véritables fascistes quant à eux : et on sait que la musique "metal", par ses thèmes et son décorum, autorisent certaines tendances totalitaires, les amplifient parfois, et le nier ne rendrait point service à ce genre. En toute franchise, je ne sais pas si Manowar autorise ce type de comportements. Je n'ai jamais rien lu sur le sujet, rien entendu les concernant. Même les titres les plus guerriers de l'album, par exemple "Fight until we die", parlent davantage de la fratrie qui unit les combattants que d'un ennemi à pourfendre : l'essentiel est de marcher côte à côte, et non d'écraser l'opposant.

   La seule chose que l'on peut cependant arguer en toute bonne foi, c'est, précisément, la virilité affichée de cet univers, son souhait de puissance et de force. Je bémoliserai cependant la remarque, en rapprochant cette imagerie de celle que l'on a, par exemple, dans les premiers arcs de Jojo's Bizarre Adventure. Car la force que chantent ces guerriers est au service de leur amitié et de la défense des orphelins, il s'agit d'une protection et d'un idéal masculin qui laisse cependant la place à l'amour, à l'amitié, aux larmes. On meurt vaillamment, mais il faut qu'un barde raconte ce sacrifice à la famille éplorée ; on récolte le dernier soupir de son compagnon d'armes sur son estomac, alors qu'une main amie lui ferme une dernière fois les yeux, et remet en place une mèche derrière l'oreille.

   C'est du chevaleresque, tel que les romans médiévaux nous le présentaient, une fidélité sans faille, du fol'amor courtois, entre deux chevaliers fendus en deux de haut en bas par la hache du guerrier, et un sorcier qui change les pierres en géants hargneux. Bien entendu, alors, que les femmes soient (quasi)absentes de cet univers, c'est un conte à destination des hommes seuls et, à tout prendre, je préfère encore cette masculinité-là que celle, plus douteuse, d'un James Bond ou d'un Bob Morane. Et au-delà, au-delà ; il y a la puissance de la musique et la force de la mélodie, de belles ritournelles, le regret de ne plus avoir de cheveux longs, de ne plus avoir de cheveux tout court si je puis dire, pour les balancer en rythme ; et l'envie que les salles de sport rouvrent bientôt, pour soulever de la fonte en cadence dans la sueur et la douleur. 

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