Une histoire de la phrase française (2020, Gilles Siouffi, dir.)

Publié le par GouxMathieu

   Quand je dois résumer mon travail, je dis souvent, et cavalièrement, qu'il consiste à lire pour ensuite écrire des textes que d'autres liront. La désinvolture affectée de l'expression ne cache cependant en rien le fond de mon activité, livresque par essence, quand bien même la littérature ne serait-elle point l'essentiel de mes lectures.

 

   Comme je suis grammairien, tout ce qui est émanation de la langue m'intéresse, des slogans aux grands romans immortels, des tweets aux interactions quotidiennes. C'est un métier où toujours nous sommes en éveil, comme nous sommes constamment dans la langue et son expression : c'est peut-être pour cela que le jeu vidéo est un divertissement que j'aime absolument, tant son langage est, le plus souvent non verbal.

   Qu'on ne s'y trompe pourtant, j'aime toujours à travailler ma matière, même si la fatigue parfois me pèse : et lorsqu'un ouvrage "de spécialité" se déguste comme une excellente chronique, voire comme un roman policier, je ne me prive point de joindre l'utile et l'agréable. Une histoire de la phrase française... s'adresse sans doute davantage à un public initié qu'aux amatrices ou aux amateurs, mais je le crois accessible amplement.

Gilles Siouffi

   Le concept de phrase, et plus encore de phrase française, traverse la culture grammaticale nationale. On en parle dans tous les ouvrages prescriptifs, même dans les universitaires ; c'est un idéal que l'on doit toujours atteindre, dès nos premières compositions scolaires ; on la trouve, dit-on, chez Hugo, chez Balzac, chez Fénelon ; c'est un idéal de pureté, de cadence et d'équilibre, l'expression parfaite d'une syntaxe claire, d'un sens complet et d'une beauté que le monde nous envie ; c'est le génie de la langue, comme on se plaît à le dire encore.

   Pourtant, un peu d'histoire linguistique nous apprend que tout cela est faux, ou grossièrement dessiné. Si la "phrase" existe, et les spécialistes sont loin de s'accorder ici, sa définition propre est insaisissable, compliquée, mouvante ; elle n'est pas apparue, elle a été créée, progressivement, partie par les auteurs et autrices, partie par les grammairiennes et grammairiens ; loin d'être cet idéal vendu, c'est un modèle abstrait, impossible à atteindre cependant.

Christiane Marchello-Nizia

   Cette histoire, et l'on doit prendre ce terme dans son sens fort, c'est ce que cet ouvrage nous raconte. Des Serments de Strasbourg à l'internet, la fine fleur de la linguistique historique francophone, des chercheurs et chercheuses que je suis fier d'appeler mes pairs et mes collègues, mes maîtres et professeures, nous raconte cette histoire fascinante, celle de la constitution progressive non seulement d'une unité de langue, mais également d'une identité particulière.

   Dire que nous avons, en France, une relation intime avec la langue que nous pratiquons, c'est enfoncer des portes ouvertes. Lire, en revanche, la façon dont cette relation s'est construite ; dont les modèles ont été érigés ; ce qui a été retenu, et ce qui ne l'a pas été ; tout cela, c'est nouveau, et c'est stimulant. De loin, Une histoire de la phrase française... est le texte que je recommande à qui voudrait savoir précisément ce que je fais, entre mes lectures et mes écritures.

 

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