VVVVVV (2010, Terry Cavanagh)

Publié le par GouxMathieu

   Pour un certain nombre de raisons, j'ai toujours considéré le jeu de plates-formes "à la Mario" comme le parangon du jeu vidéo. Il y a là comme une évidence de la ligne, des objectifs, du gameplay, qui ne peut que plaire ; et ce n'est donc point un hasard si ce genre est le plus prisé des développeurs indépendants. Après Braid, que je parle un peu de VVVVVV, qui se doit de ne pas être oublié.

 

   Développé en flash et pouvant tourner, nonobstant la musique, sur un Commodore 64 dont il reprend l'imagerie et la progression à écrans fixes qui nous renvoient aux bons temps des Monty on the Run ou des Jet Set WillyVVVVVV prend le parti, de la même façon que Braid par ailleurs, de refondre quelque peu le gameplay d'un jeu de plates-formes canonique non pas, comme on le voit souvent, par l'ajout mais bien par l'absence : et de ne pas douer le héros du pouvoir de remonter le temps ou de créer des blocs du néant, mais de l'empêcher, cela est singulier, de sauter.

   Un jeu de plates-formes sans saut ? L'on songe bien entendu à Lode Runner. Mais ici, nulle échelle, nul moyen de creuser un passage dans la roche. La seule façon d'avancer, c'est, d'une pression sur la barre Espace, de changer la gravité. Et voilà notre héros, le capitaine Viridian, d'essayer de sauver son équipage, éparpillé sur une planète étrange des suites d'une avarie dans leur vaisseau spatial en explorant tantôt le sol, tantôt le plafond des salles arpentées...

   Alors, bien entendu, les premiers instants nous ramènent immédiatement dans le passé et l'on peut faire rapidement un faux-procès au créateur : pour un peu, on le soupçonnerait de surfer sur une vague "néo-rétro", n'empruntant que de la forme et non du fond. Et puis... Le soin apporté à l'architecture de cette carte, découpée en différentes zones de couleur et visitant chacune un thème en particulier ; le vicieux des pièges, bien faciles à déterminer mais incroyablement délicats à esquiver ; la bonhomie générale du personnage principal ; l'humour, distillé ci et là, sans y paraître... Aucun doute : nous sommes devant une grande œuvre.

   L'on ne saurait pleinement saisir, sans le lancer, toute la perversion du principe fondateur. Le moindre piédestal nous arrête en plein élan, et nous oblige parfois à faire de grands détours pour atteindre notre objectif ; il nous faut songer, encore une fois, en trois dimensions, en ajoutant cette fois-ci un deuxième axe horizontal, parallèle au sol que nous connaissons bien ; le labyrinthisme à la fois cruel et évident nous pousse toujours plus loin dans l'exploration et nous permet doucement de prendre nos marques.

   VVVVVV est un jeu fascinant à plus d'un égard. Peu d'histoire, aucune allégorie : le concept établi est premier et suffisant, et le level-design de l'épouser parfaitement. La mort punit rarement tant les checkpoints, du moins dans le niveau de difficulté le plus bas, sont judicieusement répartis ; et tout est fait pour encourager le speed-run, la course à la vitesse, la recherche arcadienne de la meilleure trajectoire et du plus beau raccourci.

   En ce sens, VVVVVV est un jeu qui peut apparaître étrange dans le microcosme du jeu vidéo contemporain tant, peut-on dire, sa rejouabilité est nulle ou quasi-nulle (tout n'est toujours affaire qu'optimisation méthodique du parcours, sans glitch ou bug exploitable, ou si peu) et sa première traversée ne vous tiendra en haleine que deux à trois heures, tout au plus, de quoi apprendre à négocier les passages les plus retors.

   Et pourtant. L'on revient régulièrement à VVVVVV. C'est, dans ce genre de la clarté vidéoludique qu'est la plate-forme, le suc, l'osmazone de cette clarté : l'on isole un pixel de la ligne droite, et on le scrute minutieusement, avec une patience biblique, jusqu'à le connaître sans difficulté aucune.

   Si je devais faire un parallèle, limité bien entendu, avec un certain art poétique, je songerais volontiers au travail d'un Leconte de Lisle : certes, la forme est reconnue et, finalement, la beauté surgit moins du génie que de la technique parfaitement huilée mise en œuvre. Mais il se produit, dès lors, un renversement qui toujours surprend : lorsque les engrenages parfaitement s'agrègent au point qu'aucun artifice n'est nécessaire, la perfection est atteinte dans la mesure où il n'est rien à retrancher. En prenant le parti d'ôter ce que l'on pensait être, moi le premier, le critère définitoire absolu du jeu de plates-formes, à savoir le saut et le dosage méticuleux de celui-ci, l'on découvre que la structure, miracle, tient encore debout. 

   Le débat persiste alors : et si la réponse se trouve ici, il nous faut jouer encore pour la trouver. Il ne sera pas dit que la simplicité sera un jour décevante.

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C
Et n'oublions pas la bande originale, une pure merveillle qui n'a sans doute pas d'équivalent dans les dix dernières années, qui nous plonge tantôt dans un univers de travail à la chaîne, le joueur faisant et refaisant le même geste/parcours, tantôt dans l'infini de l'espace. Prodigieux.
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M
Tout à fait ! Mais j'aime tellement cette OST que j'en ferai sans doute un article dédié plus tard, d'où mon silence prude ici ;)