Shadow of the Beast (1989, Reflections)

Publié le par GouxMathieu

   Certains souvenirs sont difficiles à effacer. Ils restent avec nous le temps durant, sans que l'on ne sache exactement pourquoi ; et j'y reviens régulièrement, comme en une chambre secrète détenant mes moments les plus précieux. Shadow of the Beast n'est pas, à proprement parler, un jeu de mon enfance ; je ne le découvris que bien plus tard. Pourtant, il fait partie des titres que j'associe le plus volontiers à mes primes années.

 

   

   Avant l'Internet, avant même que je n'achète régulièrement la presse spécialisée, jadis seul moyen d'en apprendre davantage sur mon loisir favori, il était une émission de télévision que jamais je ne ratais : Micro Kids. J'en avais parlé, il y a bien longtemps ; je l'évoque encore, mais avec une subtilité. Au début des années 1990, sans pouvoir dire exactement quand, France 3 avait proposé en première partie de soirée une émission spéciale, entièrement consacrée à la chose. L'événement était de grande ampleur : jamais, de mémoire, n'avait-on proposé quelque chose d'aussi académique pour ce qui n'était alors perçu qu'une dégénérescence moderne.

   "La Nuit des jeux vidéo", ainsi l'avait-on appelé, mélangeait tout et rien. On y voyait Pierre Tchernia et Albert Uderzo évoquer les adaptations d'Astérix sur consoles ; un concours consacré à Kether sur CD-I ; quelques mots sur Alone in the Dark, alors fleuron du jeu vidéo français, et sur Mortal Kombat. Surtout, il y avait quelques pastilles consacrées à l'histoire du média, de ses origines pongesque aux micros les plus récents. La chose était grossièrement découpée en décennies, et les véritables anecdotes côtoyaient les approximations malheureuses : surtout, cela me permettait d'avoir accès à quelques secondes de jeux, qu'alors, je ne connaissais point.

   L'un de ceux-ci n'était autre que Shadow of the Beast, mais je l'ignorais alors parfaitement. Il s'agissait d'un jeu micro, Amiga, support dont je ne savais rien ; j'étais alors frappé de la grande qualité de l'animation et des graphismes, moi qui tenais alors la Super Nintendo comme le période de la technique. La musique, également, profonde, inquiétante, du fait de David Whittaker, connu des sachants, eut sur moi une profonde impression. Ce ne fut, cependant, que plusieurs années plus tard que je sus mettre un nom sur cette mémoire.

   Lorsque je découvris Grospixels, et bien avant de devenir un membre de son équipe, j'explorai méthodiquement toutes les entrées de son riche index. Chaque jour, je devenais plus savant ; chaque jour, je découvrais des perles, modernes comme anciennes, et m'extasiais de tout ce que j'avais encore à apprendre. Un jour évidemment, mon sang ne fit qu'un tour : je découvrais le nomShadow of the Beast ; je me plongeais dans l'émulation ; fébrile, je renouais avec une partie secrète de ma personne que je pensais ne jamais retrouver.

   Je fus bien déçu, en vérité. Déçu, car le jeu est, du pur point de vue de son gameplay, d'une médiocrité certaine. Sa maniabilité est douteuse ; sa difficulté, honteuse ; son labyrinthisme proverbial. En revanche, en revanche ! je retrouvais là toutes les qualités plastiques que j'énumérais à l'instant. Sa partie artistique est inattaquable, et restitue bien l'étrangeté de cette histoire fascinante, où un homme fut changé en bête par un sorcier démoniaque ; la musique, la musique ! se joue encore souvent sur mes enceintes, ne serait-ce que le thème principal qui hante et mes jours, et mes nuits.

   Le jeu connut, je l'appris alors, deux suites directes, tout aussi belles, tout aussi plaisantes aux oreilles, tout aussi absurdes de difficulté et injustes de précision. Je les essayais rapidement, par curiosité : mais je n'avais aucun souvenir à leur associer, et je m'en déportais finalement. Shadow of the Beast, premier du nom, et malgré de récentes reprises et adaptations, ne tomba plus jamais sous ma main.

   Partant, jamais ne donnerais-je ce jeu comme un excellent représentant du média, comme un bon, même : contrairement à d'autres à l'esthétique avoisinante, Abe's Oddyssee ne serait-ce, il ne sait pas récompenser le joueur pour ses efforts. C'est une promenade, douloureuse, dans un très beau musée : mais de l'amusement, on n'en trouvera guère ici.

   Je garde pourtant son nom en mémoire, et je persiste à l'aimer prodigieusement. Il est rare, finalement, que je me sente ainsi attaché à une œuvre avant même de l'avoir véritablement connu, avant même d'en avoir fait l'expérience. Pour cette raison ne serait-ce, il méritait bien sa place dans ce journal. 

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