One Punch Man (2009 - en cours, ONE/Madhouse)

Publié le par GouxMathieu

   Il y a des trésors partout, évidemment ; et la voix populaire a parfois raison de porter aux nues telle ou telle œuvre. J'ai découvert One Punch Man accidentellement, lors de son adaptation en anime il y a de cela quelques temps ; je suis tombé sous le charme, ne trouvant là aucun réel défaut, ni aucun réel problème, tant tout me semble parfait.

 

   Encore maintenant, tout comme je le faisais lorsque j'étais enfant, je ne peux faire autrement que de me prendre pour un super-héros, soit après une lecture stimulante, soit lorsque mes esprits vagabondent ci et là. Je me prends pour un être doué d'un savoir infini et d'un pouvoir immense : je rencontre généralement la Justice League, et je défie Superman sur une planète morte, sous les yeux étonnés de ses compagnons d'armes. Je suis plus fort, plus rapide, plus malin : je joue avec lui avant de dévoiler ma pleine puissance, et de le réduire à merci d'un seul et unique coup de poing.

   One Punch Man, de prime abord, illustre ces mêmes fantaisies adolescentes. Saitama, le protagoniste, s'est entraîné tant et tant qu'il est capable d'annihiler n'importe quelle menace d'un seul coup de poing. Il est rapide à un point que l'on ne peut imaginer ; sa résistance est au-delà du réel ; sa force est infinie. En contrepartie néanmoins de ces pouvoirs incroyables, il devient incroyablement frustré : à quoi bon être un héros si, d'une part, aucune menace n'est à prendre au sérieux, d'autre part, si personne ne vous reconnaît comme un sauveur ?

   One Punch Man est alors, plus profondément, un récit de la frustration et de l'ennui, et il est facile de faire une passerelle avec notre monde moderne où nous avons accès à moult facilités de l'existence, à de la distraction, à des possibilités de voyage, d'apprentissage, de culture, mais où nous pouvons nous empêcher de nous ennuyer, peut-être parce que tout est devenu évident, facile, accessible : et l'Internet a définitivement fini d'ancrer cela dans notre esprit. Nous sommes devenus bien plus que des nains sur les épaules des géants, nous sommes devenus des géants nous-mêmes : et toisant l'éternité de l'existence humaine, sensible et naturelle, nous en avons perdu le goût de la surprise et de l'étonnement.

   Ce n'est pas comme si la chose était vraiment nouvelle dans notre culture contemporaine. Dès le Quichotte, dès Flaubert, dès Stendhal, sans même parler de la littérature contemporaine issue des camps, les artistes œuvrent à un désenchantement du monde. C'était pour eux le moyen cependant de trouver un nouveau sens, une nouvelle signification : les dieux sont morts, ne restait que l'humain. Mais sans grande figure tutélaire vers laquelle se tourner, quel était l'intérêt de notre existence première ?

   Dans un decorum empruntant évidemment aux shonen et aux grands mangas d'action, One Punch Man se propose de revisiter cette interrogation métaphysique, qui peut très bien être la plus grande de notre siècle. Jusqu'à présent, la série n'a guère apporté de réponses satisfaisantes, n'ayant pas peur, comme d'autres œuvres, d'affronter le néant et de faire un beau travail d'humilité. L'on a quelques pistes, quelques brides d'efforts : on va dans le direction de la transmission, dans celle de la reconnaissance publique, dans la politique. Ce sont des remèdes temporaires, rien de durable : bientôt, la douleur revient, plus forte qu'auparavant.

   C'est cette tristesse incroyable, qui sourd après les exquises séquences de combat et l'humour enlevé, que je retiens nécessairement du parcours de One Punch Man. J'admire Saitama, pour ses valeurs et sa force, son abnégation ; je lui offre ma pitié tant il semble perdu, creux, insensible parfois à tout ce qui peut lui arriver, comme si rien n'avait d'importance. J'espère, dans la suite de ses non-aventures, qu'il trouvera quelque chose de valeur à ses yeux : tout comme je cherche continûment une raison d'aller de l'avant, et de devenir quelqu'un de meilleur.

 

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