Escape from L.A. (1996, John Carpenter)

Publié le par GouxMathieu

   J'avais parlé, jadis, de They Live, l'un des chefs d'œuvre de John Carpenter ; mais dans mon histoire personnelle, c'est par Escape from L.A. que je commençais l'exploration du réalisateur. J'étais encore à l'école primaire à l'époque ; sans doute ma mère aurait-elle dû être mieux regardante des recommandations étatiques. Mais je gagnais quelques galons d'analyse politique, et je me trouvais un nouveau héros.

 

 

   Revoyant l'œuvre récemment, à un moment où les États-Unis s'en sont remis, bon an, mal an, à un président très attaché à certaines valeurs morales judéo-chrétiennes - du moins, son électorat fasciné lui prête cela -, je ne peux que frémir de la lucidité du réalisateur au sous-texte toujours très politique. Dans ce futur antérieur, on ne fume, ne boit, ne jure plus ; on érige des murs, ou des frontières infranchissables, autour de zones considérées comme perdues pour la civilisation ; on brandit la menace du totalitarisme de l'information, et on isole du monde tout un pays, pour on ne sait quelle raison.

   Il y avait déjà tout cela dans Escape from New-York, premier épisode des aventures de Snake Plissken, qui inspira par la suite certains développeurs de jeux ; mais Escape From L.A. se fait plus coloré, plus grand-guignolesque, plus ridicule aussi dans sa déconstruction du mythe du héros sans peur et sans reproche à la John Wayne, ou à la Seagal ou la Norris, qui est d'ordinaire très lié à ce cinéma de genre auquel je reste, sans honte, très attaché.

   Snake Plissken est en effet loin d'être le garant de la justice, de la liberté et de la vérité d'antan : les États-Unis, dans ce film mais déjà à son époque - la Guerre du Golfe est encore toute récente, sans parler du reste - avaient perdu ce rôle de phare du monde libre et ne pouvaient plus prétendre à cet équilibre éthique qu'ils avaient jadis volé après la seconde guerre mondiale. Quand bien même Snake finira-t-il par faire le choix le plus sensé de tous, son alignement politique en fait davantage un anarchiste, dans le sens original du terme.

   Des amitiés, il n'en aura aucunes, ses anciens compagnons d'armes le dédaignant et lui s'en servant pour arriver à ses fins, sans égard pour leur sécurité. Les femmes se pâment toutes devant lui, alors qu'il n'est ni beau, ni musculeux, ni courageux, mais ils les écartent d'une main orgueilleuse : plutôt, il les considère comme des personnes et souffre de leur mort, plutôt que comme des trophées justifiant ses actions héroïques.

   Ce déplacement, ce détournement, ce libertaire comme on peut l'entendre ici, se saisit à chaque moment de la galerie des personnages qu'on laisse à voir. Du président, sorte de Nixon extrémiste et ahuri de prières ; au général étoilé, fatigué des guerres traditionnelles et justifiant la fin à défaut des moyens ; en passant par le révolutionnaire, sous-Che Guevara ridicule qui oublie une fois sur deux de mimer un accent cubain ; il ne semble pas y avoir ici de tolérance pour les idées, pour l'honneur, pour la justice. Il n'y a que l'humanité, et ce qu'on en fait : "Bienvenue chez les humains" (Welcome to the human race) déclarera Snake - pardon, Plissken - à la fin du film et il est difficile de ne pas voir là comme la morale terminale du film.

   Partant, et contrairement à They Live par exemple, la fin n'est en rien ouverte ou, du moins, moins ouverte que celle de ce dernier film. La révolution est faite : la technologie, anéantie, renvoyée cinq siècles plus tôt, avant l'électricité, les transports au long cours, avant l'éthique moderne. L'anarchie est établie, l'humanité peut à présent se concentrer sur ses fondamentaux. Le fera-t-elle ? De cela, Snake Plissken s'en moque. Ne reste, pour lui, qu'une cigarette, un manteau noir, et le silence, enfin.

 

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