Le Spirou de... (2006 - en cours, auteurs divers)

Publié le par GouxMathieu

   Lorsque j'avais jadis parlé de Spirou et Fantasio, j'évoquais sa polymorphie, son côté protéiforme : ses nombreux auteurs l'avaient coloré de multiples talents, et cela participait, au regard de Tintin, de son intelligence. Dupuis sans doute de se dire la même chose : car l'éditeur initia une collection originale, où l'on trouve à boire et à manger, et de très jolies choses.

 

   Il y a quelque chose d'assez étrange, finalement, lorsque l'on compare Tintin et Spirou. Le premier est le fait d'une seule tête, mais somme toute, n'a pas de caractère réellement marqué, ce n'est qu'un héros comme un autre ; Spirou est du fait de plusieurs, mais chaque scénariste, chaque dessinateur a su l'inscrire dans une certaine dimension, dans une certaine époque, lui donner certaines caractéristiques particulières : et on peut très bien aimer Franquin mais peu apprécier Tome & Janry ; idolâtrer Fournier, mais peu goûter Nic & Cauvin ; et malgré tout ça, ne jamais cesser d'aimer Spirou.

   Le Spirou de..., que j'ai jadis et premièrement connu comme Une aventure de Spirou et Fantasio par... est du même ressort, si ce n'est que cette fois-ci, toute idée de continuité est absente : si l'on peut reprendre des noms, des lieux, des façons de la série principale, tout ce qui en ressortira restera inconséquent, fictif, inutile. Contrainte initiale, liberté terminale : il n'en fallait pas plus pour inviter divers auteurs de s'emparer, le temps d'un tome ou deux, d'un héros qui a su les faire rêver.

   Les meilleures histoires ici, du moins c'est mon opinion véritable, sont celles qui nous permettent de trouver les obsessions de leurs auteurs. On aura ainsi Émile Bravo, et la position trouble du groom avant le début de la seconde guerre mondiale, non loin de sa création effective ; Frank le Gall nous délecte de ses passions linguistiques, et nous plonge dans le Paris de la fin du XIXe siècle ; Tronheim et Parme se régalent des années 60, et de la science-fiction débridée qui caractérisait la culture populaire du temps.

   Tantôt, l'on aura un Spirou bien jeune et naïf, imbécile ; tantôt, un journaliste plus assuré de sa mission investigatrice ; plus loin, un factotum casse-cou aussi courageux que tête brûlée. Ce n'est donc pas uniquement les univers qui changent, mais la profondeur de même, le groom, ses comparses, ses amours parfois : car la liberté d'auteur, c'est aussi celle de donner à notre héros des intrigues passionnelles, des antagonismes forts, des amitiés nouvelles. Sous leurs plumes, il devient, plus que jamais, un véritable être humain.

   Ce n'a jamais été là un défaut de Spirou, me répondra-t-on à raison : et rapidement, Franquin, le premier, a su donner au personnage des qualités comme des défauts, de la joie et de la colère, du courage et de la peur. Mais les contraintes de la série ; les contraintes de ce que l'on appelle aujourd'hui le "canon" et les contraintes de l'éditeur de jadis, surtout, bridaient les envies et les idées.

   Il est alors assez étrange de voir Dupuis favoriser ce type de projets, et de conduire sa tête d''affiche sur des sentiers parfois troubles ou dangereux, que seuls les fans auparavant, et en catimini, osaient prendre. Il y a encore sans doute un droit de regard ; sans doute, certains projets trop sulfureux d'être retoqués, on ne financera point le lèse-majesté ; mais la marge de manœuvre demeure néanmoins intéressante, et le meilleur est toujours à venir. Quelque part, c'est une série à recommander même à ceux qui n'apprécient point le groom : car on y trouve là toujours de quoi plaire, et toujours de quoi être surpris.

 

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