The Thing (1982, John Carpenter)

Publié le par GouxMathieu

   Je reviens à Carpenter, ces derniers temps. Il ne m'a jamais vraiment quitté, qu'il s'agisse d'invasion extraterrestre ou d'une opération de sauvetage, aussi cela n'est-il pas surprenant que périodiquement, son œuvre se rappelle à moi. The Thing a gagné des places, dans mon cœur.

 

   Quand on parle aujourd'hui de The Thing, four critique comme populaire à son époque (mais, il faut dire que E.T. sortait en face, et qu'il était difficile de s'y confronter), on retient notamment ses magnifiques effets spéciaux, intégralement faits sur site, avec marionnettistes, ficelles et chewing-gum. Aujourd'hui encore, et même en "haute définition" et sur grand écran, l'effet demeure saisissant.

   On en parle aussi pour son histoire, et surtout pour son final ambigu qui a fait longtemps débattre et chercher le moindre indice susceptible d'accréditer une thèse, ou l'autre. C'est là une chose étrange que de chercher un sens arrêté là où il n'y en a pas (ou plutôt, le sens vient de l'absence de sens, dans un mouvement pessimiste et nihiliste propre au réalisateur), mais encore aujourd'hui, on en discute beaucoup.

   J'étais moi-même de ce public, je voulais être "plus malin". Vain orgueil, que j'ai remisé depuis. Je comprends mieux l'idée, je me concentre davantage sur la forme : et sur ce point, j'ai pu voir la brillance cachée, qui m'avait échappé. La paranoïa sourde, qui s'installe parmi cette équipe de douze personnes ; les petites trahisons et les accords de circonstance ; les regards qui trahissent.

   Le huis-clos devient rapidement étouffant, et je suis toujours frappé de la célérité, et de l'efficacité avec laquelle tout cela est mis en place. Le film est finalement assez bref, selon nos standards contemporains, avec ses 109 minutes : on ne perd pas vraiment de temps. Les scènes de groupe présentent efficacement les caractères de chacun, les enjeux sont clairement exposés, l'ambiance est particulièrement touchée.

   Je me suis beaucoup renseigné, ces derniers temps, sur le film, son tournage et ses interprétations. Plusieurs m'ont particulièrement plu : une métaphore filée du jeu d'échecs, qui ouvre le film et que l'on retrouve dans le choix des couleurs, noirs et blancs, qui traversent le décor et les personnages ; leurs mouvements, linéaires ou chaotiques ; le pion que l'on sacrifie, ou qui devient reine une fois arrivé au bout de l'échiquier. La photographie flatte cette idée avec soin, et j'ai été très heureux de l'apprendre, alors que je ne l'avais point vu.

   D'autres métaphores, en revanche, me sont venues plus immédiatement. Le concept de l'ennemi intérieur, déguisé et indétectable, fait penser à ce cinéma américain du temps lié à la guerre froide, qui a souvent pris la forme d'invasions extraterrestres (on pense à La Guerre des mondes, ou encore aux Envahisseurs). L'agent infiltré, endormi, qui se réveille au moment idoine et sème la mort et la défaite, se lit assez bien ici.

   Une autre image vient cependant en tête. Carpenter, dans ses commentaires sur le film, la cite avec intérêt, même si cela n'a pas guidé l'écriture de façon nette : l'épidémie du SIDA. On commençait à en parler au moment du film, du "cancer gay" mystérieux, que l'on ne pouvait identifier que par un test sanguin. Difficile de ne pas voir des parallèles dans cette distribution entièrement masculine, dans ses lance-flammes phalliques, dans ce test sanguin, précisément, qui dévoile la supercherie.

   La métaphore n'est certes pas voulue, elle est accidentelle, mais fonctionne assez bien : les artistes savent bien goûter l'air du temps, et capter les angoisses et les débats sociaux et les transformer en œuvre, mais sans le vouloir. C'est ce qui les rend pertinents : ce sont des antennes et des éponges captant l'atmosphère, et la traduisant en formes accessibles.

   The Thing me fascine, et plus j'y reviens, plus je trouve de nouvelles choses, plus je l'aime et plus je le trouve bon. Il n'est pas loin de devenir l'un de mes films favoris, du réalisateur sans doute, de tous peut-être. Je persiste encore à en préférer d'autres, They Live ou Escape from L.A. (ou Escape from New-York), peut-être parce que leur dimension politique est plus prononcée ; mais The Thing capture un aspect de la nature humaine qui me fascine.

   Je pense être quelqu'un de plutôt optimiste, voire de naïf : j'accorde très facilement ma confiance, et ne garde pour ainsi dire jamais de rancune. Je ne sais comment je réagirais en telle situation, où mon frère, où ma sœur, peut être l'ennemie. Peut-être préférais-je mourir que de trahir ou de perdre : ce film a alors pour moi des airs d'exemplum, mais je reste hélas buté.

 

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