Porco Rosso (1992, Hayao Miyazaki)

Publié le par GouxMathieu

   Il y a de cela longtemps, assez longtemps même, j'avais parlé de Mon Voisin Totoro, chef d'œuvre du studio Ghibli et qui reste sans doute l'un de mes films favoris, tous genres confondus. Au sein de cette "constellation", si je me surprends à me citer, il est un autre film d'animation qui sait me transporter on ne peut plus loin et ce bien que son style, son propos, ses ambitions soient profondément distincts de ce dernier : ce film, c'est Porco Rosso, dont jamais je ne me lasse.

 

   Je me rends compte, à présent que je parle des aventures du "porc rouge", que mes deux amours touchant au studio Ghibli (sans même parler, du moins pour l'heure, du Voyage de Chihiro ou de Princesse Mononoké) composent, comme qui dirait, deux parts primordiales de l'enfant que j'étais et même, à dire vrai, de l'adulte que je suis. Tout d'abord, et c'est ce que Totoro représenterait, il y a cette douceur, cette mélancolie printanière, cette tendresse du haïku ou du lyrisme tranquille et naturel. C'est l'ordre et le rangé, le suave, le lent qui habite souvent mes gestes.

   De l'autre côté, il y a cet appel de l'inconnu, ces découvertes incroyables et inouïes, cette curiosité absolue qui toujours me met en branle et m'amène à côtoyer de nombreuses personnes, toutes distinctes en propos et en idées, à ouvrir de nouveaux livres et à toujours me remettre en question. C'est le parfum du sirocco, l'azur infini que l'on agrippe l'espace d'un instant, une balade hors des sentiers battus qui nous permet de surprendre une idole recouverte de lierre : c'est Porco Rosso, enfin, et ce rêve qu'ont dû avoir tous les enfants de devenir, un jour, des aviateurs mercenaires, sans Dieu, sans maître, sans limites autres que cet horizon que l'on ne cesse, alors, de rattraper.

   Une autre chose, peut-être, permet de rattacher Porco Rosso à ces paradis mielleux et perdus de l'enfance, d'une façon différente encore que les pélerinages de Mei et de Satsuki. Si Mon Voisin Totoro se consacrait tout entièrement, peut-on dire, à la simplicité élégante, le mystère se résolvant toujours et l'inconnu - c'est là même tout le propos de l'histoire - finissant par se connaître, Porco Rosso ne nous présente jamais qu'une vignette, qu'un pertuis vers une toile, un univers, infiniment plus complexe.

   Aussi, rien ne sera jamais dit, ou bien très peu, de la transformation de Marco en cochon ; aussi, ses exploits lors de la première guerre mondiale, et la situation de l'Italie dans les années 1930, le chômage, la montée du fascisme... d'être évoqués tout rapidement, mais comme n'en ayant pas l'air ; les derniers instants, qui étaient pourtant propices à une résolution de tous ces fils narratifs, laisseront plus de questions qu'ils n'apporteront de réponses.

   D'un côté, nous avons cette simplicité explicative, cette évidence qui permet souvent aux enfants de tout justifier, et de tout éclairer, par une logique qui n'appartient souvent qu'à eux et que les adultes, tout empêtrés sont-ils dans leur monde réel, ne comprennent jamais ; de l'autre, nous avons cette tendance, bien enfantine encore, de tisser des plans tout à la fois complexes et géniaux, les événément se multipliant et s'enchevêtrant sans jamais se rompre, comme tenus par des milliers de ficelles et de poulies.

   C'est sans doute là, à ce que je puis comprendre, l'un des grands génies du studio Ghibli et d'Hayao Miyazaki en particulier, cette faculté de ne jamais se départir parfaitement de cette admiration, de cette fascination d'enfant pour les personnes et les choses, les lieux, les événements. Contrairement à Disney qui a été accusé, souvent et parfois à raison, d'infantiliser à outrance ses spectateurs et de simplifier même les propos les plus élémentaires, bref, de perdre cette puissance symbolique qui peut habiter les contes dont ils s'inspirent pourtant, Hayao Miyazaki a su toujours et avec intelligence vulgariser sans appauvrir, montrer sans désigner, évoquer sans dire.

    C'est alors, peut-être, dans Porco Rosso que cet équilibre, que ce mélange entre l'élaboré et l'immédiat, le caché et le visible, le rouge et le bleu pour rester sur l'opposé et le complémentaire, se réalise le mieux. Nausicaä, peut-être, se consacrait trop à l'épique et construisait trop précisément son univers, mais l'on rappellera à toutes fins utiles que ce n'est qu'une adaptation ; Totoro, de même que Kiki la petite sorcière sont sucrés comme des friandises ; Mononoké, Chihiro seront bien emportés. Il est alors peut-être attendu que l'œuvre qui se place, dans l'économie du studio, entre ces différents âges, puisse faire "tampon", empruntant tant aux uns qu'aux autres. Parfois, le génie n'est jamais qu'affaire de circonstances.

    Si je reviens constamment vers Mon Voisin Totoro, Porco Rosso, bien que jamais loin de mes pensées, m'est davantage cyclique. Il faut, peut-être parce qu'au contraire de ce pélérinage saisonnier des aventures du plus célèbre des poilus, il se déguste comme une seule et même péripétie, la conjonction de certains moments en particulier : un temps beau et fixe, avec ce ciel bleu qui invite moins à la rêverie qu'à l'exploration ; une chaleur présente sans être pesante, enrobante comme les bras d'une femme aimée et aimante ; le bruissement léger de la ville au loin, ce semblant de silence que l'on fabrique en tuant tous les bruits parasites.

   Que reste-t-il alors de Porco Rosso, que reste-t-il de ce cochon rouge, de son hydravion, des pirates "Mama Aiuto", du reste ? Eh bien, il reste tout : le goût de l'iode et du sable, le blanc des nuages et des tempêtes d'acier, l'odeur du pétrole et du métal mouillé. Il reste l'ailleurs, il reste l'autan ; le vin ensoleillé, le temps des cerises ; et ce petit bonheur à la fois tranquille et vif, que l'on recherche toujours.

 

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