I Wanna Be the Guy: The Movie: The Game (2007, Michael "Kayin" O'Reilly)

Publié le par GouxMathieu

   On prête à Franquin cette phrase que j'aime beaucoup par ailleurs : "nous sommes tous des débutants". Je joue régulièrement depuis mes six ans ; j'ai fait mes armes sur console, sur PC ; j'ai terminé des jeux de plates-formes, de simulation, de rôle, je me suis acharné, et j'ai acquis par là une constance que j'expliquais plus tôt. Je suis loin d'être mauvais ; mais devant I Wanna Be the Guy, je ne suis, effectivement, qu'un débutant de la manette.

 

   De tous les jeux que j'ai pu posséder, de tous ceux auxquels j'ai pu m'essayer, I Wanna Be the Guy fait partie des rares que je n'ai jamais, jamais pu terminer. Même Super Meat Boy, bien difficile et qui s'inspire beaucoup de celui-ci, finit par céder ; même Ghosts'n Goblins, réputé pourtant chez les émérites, me reconnut, un matin, comme un des siens ; même les Castlevania, à présent, me craignent et m'adorent tout à fois, tout comme je puis les craindre et les adorer. 

   I Wanna Be the Guy, en revanche, me résista et me résiste encore. Pire, je sais pertinemment qu'il ne s'agit pas ici de patience ni de temps, d'énergie : je suis, humainement, physiquement, spirituellement, incapable de parvenir au bout de la forteresse du Guy, et de le vaincre enfin. Demande-t-on à un poisson de grimper aux arbres, à un chien de miauler, au ciel d'entier se contenir dans un verre ? Ce n'est pas de la mauvaise volonté : c'est une impasse matérielle qui participe, pleinement, à sa légende.

   Du jeu de Monsieur O'Reilly, l'on retient généralement deux traits majeurs : sa difficulté cruelle d'une part, sa sur-référentialité de l'autre. Je fis de même, jadis ; mais, alors que j'y revenais il y a peu, je me rendis compte qu'il y avait là bien davantage que des coups de coude dans les côtes et des clins d'œil appuyés aux connaisseurs. Il y a, surtout, un véritable amour du niveau et du design bien fait, qui sait jouer autant avec nos habitudes vieillies qu'avec les apprentissages forcées des nouveaux venus. Je l'évoquais dans l'article de Grospixels dont je parlais à l'instant : les joueurs, peut-être davantage que les lecteurs, les cinéphiles, les mélomanes, sont tout portés vers le connu, et je gage que nous aimons moins la nouveauté qu'ailleurs. Sans aller jusqu'à nous dire réactionnaires, nous avons sans doute peur du changement.

   Les révolutions, peut-être parce que nous en avons tant connues, ne nous bouleversent point ; les histoires, parce qu'elles ont souvent été simplistes, ne nous plaisent que dans leur manichéisme ; nous voulons que le bouton vert serve à sauter, que le rouge tire l'arme principale, le jaune l'arme secondaire et nous nous méfions, encore à présent et malgré certaines réussites, du tactile, du dynamique et du reste. I Wanna Be the Guy de venir, et de rire de nos travers. Nous connaissons ; eh bien, nous dé-connaîtrons, dans la douleur, la colère et la folie.

   On prête également à IWBTG un rôle de précurseur, et il est vrai qu'il se place loin avant cette mouvance des jeux de plates-formes cruels et odieux, les Battle Kid, les Give Up, les Cloudberry Kingdom, qui se rapprochent en réalité davantage, génériquement parlant, des rhythm games que de la plate-forme pure et dure. Il y en a eu auparavant, Ghosts'n GoblinsCastlevania que je citais, d'autres encore, ne serait-ce que Super Mario Bros 2 (Lost Levels) pour revenir, une fois dernière, au père fondateur. Mais IWBTG ajoute à tous ces ancêtres, et à tous ses épigones, une sincère roublardise qui ne confine jamais à la technicité.

   Le jeu, alors, de ne pas être difficile parce qu'il devait l'être, mais bien parce qu'il en avait envie ; il fait des références aux vieilles gloires de son média, non par souci de plaire, mais parce que cela plaisait ; il joue tranquillement avec nos habitudes et nos attentes, nos espérances, non par érudition pesée, mais bien parce qu'il trouve cela rigolo. On oublie parfois, avec ces jeux à gros budget, avec ces campagnes publicitaires, ces retours sur investissement, à quel point tout cela doit être ludique ; à présent, et si ce n'est chez quelques compagnies qui donnent volontiers le change, le jeu vidéo est devenu une chose bien trop grave pour être confiée aux joueurs.

   Le jeu vidéo indépendant, et son succès aujourd'hui est plus grand que jamais, de répondre à ce besoin populaire. Je ne ferai pas de IWBTG un symbole quelconque de cette tendance, ni même un symbole de quoi que ce soit. Je gage que ce n'était pas là l'intention de son créateur, et c'est un titre qui lui siérait fort mal en réalité. Alors, que je quitte moi-même mes habitudes interprétatives, et que je dise simplement ceci : je n'ai jamais fini IWBTG.

   Et étrangement, j'en suis même plutôt fier.

 

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