Little Big Adventure (1994, Adeline Software)

Publié le par GouxMathieu

   Pour certains enfants, l'aventure, c'est le Capitaine Fracasse, c'est Ulysse ; pour d'autres, c'est Star Wars ou Le Seigneur des Anneaux. Quand j'étais petit, mon aventure était petite et grande : c'était celle que je suivais avec Twinsen, dans une douceur nostalgique qui ne m'a jamais parfaitement quitté.

 

   On entend peu parler, aujourd'hui, de Little Big Adventure et de sa suite directe, et pour cause : cela va faire maintenant vingt ans qu'on ne vit plus ni ses personnages, ni son univers, et que les rumeurs d'un troisième opus viennent et repartent, comme la marée sur les plages. Dans ce microcosme du jeu vidéo pourtant, LBA avait, à l'époque, fortement impressionné par sa rondeur, son intelligence, sa cohérence : et s'il est difficile d'y revenir à cause de certains principes de gameplay, son parcours demeure cependant assez agréable.

   L'essence du jeu, j'en ai longuement parlé, jadis, sur Grospixels, dans ce qui fut le tout premier article que je composais pour le site : si j'y reviens à présent, c'est sans doute parce que noël approchant, je sens mon cœur s'amiauler, s'attendrir des mignardises de l'enfance et de sa douceur. Je n'avais pas encore dix ans lorsque j'essayais le jeu, pas encore dix ans lorsque je le terminais, ce fut l'un des premiers : ses sons, ses musiques, ses images sont encore enfouies profondément en moi, et ne disparaîtront jamais totalement.

   Ce qui me fascinait alors, ce qui me fascine encore, c'est cette façon qu'a le jeu de se construire comme artificiellement, comme si tout ce que nous voyons n'était fait que de plastiques ou de briquettes. Bien entendu, la 3D d'alors ne pouvait se permettre autre chose, et surtout ne pas se perdre dans la luxuriance de détails dont on a, depuis plusieurs années maintenant, l'habitude. Mais couplée avec cette envie véritable de nous faire voyager dans un autre monde, avec ses règles, sa physique et sa sensibilité humaniste, cette simplicité devenait un atout et on aurait tort de la balayer sur l'autel de l'âge.

   Si l'on creuse bien entendu, on pourra toujours s'arrêter à la surface des choses, et ne voir là qu'un énième message humaniste, sur les dangers de l'industrialisation de masse sur la faune et la flore, ou une mise en garde maladroite sur la dictature et la privation des libertés individuelles : mais c'est dans ses creux, davantage que dans ses bosses, que LBA dessine sa grandeur et sa clarté. Il y a ces saynètes charmantes, d'une passante vous reconnaissant après vous avoir vu sur une affiche, d'une habitante vous interdisant de fouiller dans ses affaires, et ce à l'encontre de tout ce que les jeux d'aventure ont pu nous habituer, d'un soldat qu'il faudra endormir en montrant une fausse carte d'identité ; il y a cette joie de vivre d'une rébellion qui s'autorise le temps d'une fête entre deux attaques stratégiques, et des ami.e.s qui s'inquiètent sincèrement de votre état de santé lorsque vous revenez, fourbu, d'une haletante quête.

   Little Big Adventure, sans doute et si l'on ne s'arrête qu'à ses seules qualités ludiques, a indubitablement vieilli. Sa 3D isométrique a toujours rendu son maniement délicat, sa jouabilité, notamment lors des phases de combat, est irrégulière, son aventure manque parfois de rythme et s'aplanit étrangement avant d'accélérer brutalement, contre toute attente. L'absence de superfétatoire, de quête annexe, manque sans doute le plus ici : tout est comme condensé, et c'est là quelque chose que l'on a, depuis, oublié, cette évidence du premier élan.

   Mais au contraire, cette concentration permet de proposer un tissu fermement serré, sans un seul fil de trop : tout est construit, tout est volontaire, rien n'est oublié ou laissé par hasard ; et c'est encore un miracle de voir les choses se positionner comme elles se doivent, deux décennies plus tard, et saisir que chaque mécanisme est pertinemment à sa place. Little Big Adventure, par sa structure et son intelligence, a cette fabrique propre au roman ou à la littérature, à l'esprit classique du temps : voilà ce que l'on nous propose, voilà ce que l'on obtient. C'était déjà, à l'époque, une qualité rare : aujourd'hui peut-être l'est-elle encore plus.  

 

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