Avatar: The Last Airbender (2005 - 2008, Michael Dante DiMartino)

Publié le par GouxMathieu

   Je ne peux faire autrement ici que de rappeler l'une des phrases-clé de Calvin & Hobbes : "Il y a des trésors partout." Et effectivement : je n'aurai jamais pensé qu'un dessin animé destiné, nous dit-on, à des enfants entre dix ou douze ans puisse avoir autant de qualités et autant d'intelligence, d'autant plus quand il s'agit d'une série diffusée, initialement, sur la chaîne américaine Nickelodeon dont les séries animées ou en prises de vue réelles sont d'ordinaire tant décriées.

 

   Et pourtant : Avatar: The Last Airbender (Avatar : Le Dernier Maître de l'air en français) doit sans doute être la série la plus maligne que j'ai pu voir dans ces dix dernières années, même comparée à des pièces comme Lost, comme Game of Thrones, comme Futurama. J'ai ri, j'ai pleuré, j'ai été excité comme jamais : et non pas, comme pour d'autres choses, parce que j'ai retrouvé une âme d'enfant mais bien parce que ce dessin animé sait aussi s'adresser, de la façon la plus intelligente qui soit, à des spectateurs de tout âge.

   Un mot pour présenter l'Univers. Sur un monde qui ressemble quelque peu à la Terre, quatre nations se partagent le territoire, quatre cultures possédant chacune le pouvoir de contrôler un élément en particulier. Les "Maîtres de l'Eau", vivant aux pôles, ont le pouvoir de plier tous les liquides à leur volonté, de faire surgir des vagues gigantesques, de geler l'eau et même de soigner les blessures. Les "Maîtres de la Terre", sur le plus grand des continents, composent une noble société capable d'ériger des montagnes et de propulser des rochers à grande vitesse d'un mouvement de la main. Les "Maîtres du Feu", vivant dans un archipel volcanique au milieu d'un gigantesque océan, sont les maîtres des flammes, de l'électricité et de la lave. Enfin, les "Maîtres de l'Air" sont des moines éparpillés aux quatre vents, c'est le cas de le dire, et peuvent produire de violentes bourrasques et se servir des courants pour voler de ci, de là.

   Un être mythique, à chaque fois réincarné à sa mort, "l'Avatar", seul à pouvoir maîtriser les quatre éléments, est une façon de gardien chargé de maintenir l'équilibre de ce monde incroyable.

   Cent ans avant le début de l'histoire, la Nation du Feu lance une grande offensive destinée à les rendre maîtres de l'ensemble du monde. Leur progression se fait rapide et seul l'Avatar est susceptible de les arrêter. Mais celui-ci, un maître de l'air de douze ans prénommé Aang, disparaît mystérieusement. C'est alors que deux membres de la tribu de l'eau, Katara et Sokka, le découvrent prisonnier d'un iceberg et décident de l'aider à maîtriser les trois autres éléments dans l'espoir d'arrêter ce conflit qui dure depuis si longtemps.

   L'on m'avait déjà parlé, rapidement, de cette série il y a quelques années mais j'avais été, je me dois de le dire, un rien dédaigneux envers elle. Et puis, cet été, Doug Walker du site Thatguywiththeglasses.com (lien dans la colonne de droite) se mit à en parler en longueur et à apprécier énormément cette série, jusqu'à l'appeler "La meilleur série télévisée de tous les temps". Comme je sais, pour suivre son travail depuis plusieurs années, que ses goûts et les miens sont très approchants, j'ai décidé de faire jouer ma curiosité.

  Et avec raison.

   La série, très courte (trois saisons et soixante-et-un épisodes de vingt minutes) se suit très rapidement et l'on ne peut faire autrement que de lancer la prochaine aventure une fois un numéro terminé : et je me suis surpris à être à la fois heureux et triste que la série se termine, heureux d'en avoir vu sa résolution, triste à l'idée de ne pas retrouver ces personnages. Rarement me serais-je attaché à ces héros au point d'en oublier, par endroit, qu'ils ne sont que des créatures de fiction ; c'est que l'écriture ici, plus que nulle part ailleurs, est d'une intelligence improbable.

   La structure narrative globale est, pourtant, relativement classique : il s'agit d'un voyage initiatique, celui de Aang dont je viens de parler pour accepter enfin sa "destinée" et endosser véritablement le rôle d'Avatar. Ce voyage, comme toujours, se fera par l'intermédiaire de ses voyages, de ses rencontres avec divers personnages et de ses propres expériences. Mais à ce schéma canonique viennent s'ajouter nombre d'éléments intrigants qui donnent tout son charme à la série.

   Tout d'abord, contrairement à ce que l'on peut trouver dans ce genre de dessin animé pour enfants, tous les personnages introduits vont également évoluer au fur et à mesure et nous les suivrons, de saison en saison, nous comprendrons leurs évolutions et leurs dilemmes : contrairement à ce que l'on aurait pu s'attendre, cette histoire n'est pas tant celle de l'Avatar ou de Aang, quand bien même sa mission reste l'arc-boutant du scénario, que de celle de tout cet univers, protagonistes comme antagonistes, et la série se fait bien plus chorale qu'on aurait pu le croire. 

   Et toutes ces histoires se télescopent, les ennemis d'alors deviennent les amis de maintenant et réciproquement, et l'expérience de l'un profite profondément aux autres. C'est, en définitive, l'un des messages principaux de cette série, l'idée que notre parcours personnel, intellectuel, sentimental, spirituel, ne peut s'accomplir sans les êtres qui nous sont chers.

   Cet équilibre, difficile à atteindre et que seuls certains grands auteurs (je pense à Balzac et à sa Comédie humaine en particulier) ont réussi à toucher, pourrait être même le mot d'ordre de l'ensemble de cette histoire : tout comme les quatre éléments sont destinés à n'être qu'un, la série se fait plus d'une fois mélange des contraires, entre la force et la tendresse, l'aérien et l'immanent ; entre la comédie et le drame ; entre l'animation japonaise, dont la série se revendique sans équivoque, et l'animation américaine dont elle porte la trace dans le mouvement et la construction de chaque épisode ; entre les différentes philosophies, orientales pour la plupart, qui s'illustrent ici.

  Chacune des nations dont je faisais l'inventaire plus haut est directement inspirée d'un peuple oriental : les Maître de la Terre sont d'inspiration chinoise, centrés sur l'équilibre et le pragmatisme, c'est, à tous les niveaux, "L'Empire du Milieu" ; les Maîtres du Feu sont d'inspiration japonaise, concentrés sur l'honneur et sur le feu intérieur, la fierté permanente et qui jamais ne s'éteint ; les Maîtres de l'Eau s'inspireraient davantage des Inuits, du rapport à la nature et au mouvement perpétuel, le blanc et le noir ; les Maîtres de l'Air, enfin, seraient bouddhistes, n'aspirent qu'à la tranquillité d'esprit, à l'ataraxie, au détachement sur toutes choses afin d'atteindre la paix.

   Et l'Avatar, faisant la somme de toutes ces parties, est quant à lui le Tao, l'unité qui vient du multiple, la balance fondamentale. Il ne s'agit pas de s'adonner entièrement à la colère, ou à la paix, ou au mouvement, ou à l'équilibre, mais lorsqu'on se laisse trop aller dans une direction de toujours pencher la tête de l'autre côté pour atteindre la joie finale.

   Ce message hautement philosophique, très rare quand on y songe puisque, généralement, les films, les séries, les livres se consacrent à la lutte entre deux idéologies et seule l'une d'entre elle survivra finalement, est une bouffée d'air frais. L'on découvrira que, comme dans tout, il y a du bien dans le mal, et du mal dans le bien, ce qui n'est pas sans me rappeler certaines problématiques de Mafalda dont il me faut encore parler ici.

   Avatar: The Last Airbender est sans doute ce qui est arrivé de mieux à la télévision ces derniers temps, et je pense qu'il faut réellement donner une chance à ce dessin animé qui, de prime abord, ne paie pas de mine. Il est tellement à part de notre façon de penser, de notre façon de concevoir le monde - d'autant plus quand on songe qu'il s'agit d'un projet étatsunien - qu'il arrive à atteindre une forme d'universalité que j'avais trouvée, jadis, dans Dragon Ball ou dans Star Wars : un "proto-roman" venu du fond des âges, détaché de notre savoir et de notre culture et qui effleure ce qui fait de nous des êtres à part entière.

   Et tout cela, à destination des enfants de dix ou douze ans.

   Comme quoi, il y a bien des trésors partout.

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