Le Retour à la terre (2002 - 2008, Jean-Yves Ferri & Manu Larcenet)

Publié le par GouxMathieu

   J'ai souvent parlé de Larcenet dans ce journal. Il faisait partie des premiers ; j'ai évoqué ses expérimentations et ses cauchemars ; peut-être est-ce le moment d'évoquer quelque chose de plus léger, en parallèle néanmoins de l'ignoble. Cela rend la comédie plus grotesque encore, dans le sens romantique du terme.

 

   Car Le Retour à la terre est une biographie intéressante pour qui s'intéresse quelque peu à Manu Larcenet, à son œuvre et à celui qu'il se plaît à être dans ses dessins. Si l'on en croit Alain Robbe-Grillet, un auteur ne fait jamais que de parler de soi dans ses travaux ; et si jamais la chose paraît compliquée pour Minimal ou pour Blast tant les formes se font difformes, elle me semble bien plus évidente pour Le Combat ordinaire et, partant, pour Le Retour à la terre.

   Ces histoires, mises pourtant en scène par Jean-Yves Ferri dans une mise en abyme complexe, se lisent en parallèle des aventures du photographe Marco. On le voit acheter une maison de campagne ; y vivre avec son aimée ; avoir un enfant ; s'interroger sur son avenir artistique ; s'inquiéter pour son chat. Il y a là comme un jeu de miroir bien connu, et on sait bien que l'homme qui glisse sur une peau de banane peut tant en mourir que provoquer l'hilarité d'un public peu soucieux de son équilibre.

   J'ai connu ces saynètes, qui renvoient volontiers aux premiers gags de Gaston Lagaffe, soit deux bandes de trois cases, au plus, disposées en couple sur chaque page, et qui développent divers arcs narratifs, bien après le Combat ordinaire. J'ai donc apprécié les renvois, les références, les moqueries même, comme si le dessinateur revenait, par le truchement de son scénariste, sur ses précédents atermoiements et sévèrement les jugeait. Ce n'est pas que leur sincérité est remise en cause : mais, à l'aune d'une vie humaine, ils ne sont guère importants et disparaîtront comme la neige de mars.

   De l'impossible communication entre les hommes, on en retient à présent que quelques argots paysans conduisant à des quiproquos de théâtre poquelin ; de l'inextinguible soif de connaissance de soi, des hallucinations mettant en jeu qui des Atlantes de cinéma-bis, qui un sanglier géant de jeu vidéo d'aventure ; du doute de l'être aimé, qui jamais peut-être ne nous aimera comme nous pouvons le faire, une fâcherie grotesque qui se terminera en embrassades. La partition est la même : mais les violons ont cédé leur place au bandonéon.

   Partant, il est difficile de faire du Retour à la terre une "grande œuvre", que ce soit dans la bibliographie des auteurs ou dans l'absolu. Il manque sans doute à tout cela un peu d'ambition, un peu d'éthique, une quête de l'idéal que l'on trouvait qui dans Calvin & Hobbes, qui dans Mafalda, qui dans Gaston que je donnais plus haut. Ce sont pourtant là de petites histoires, mais on sent chez elles les racines d'une réflexion qui anime les lecteurs de tout âge. Les (més)aventures de Manu Larssinet n'ont pas cela. On s'amuse, certes ; le style de Ferri, tout en vibrants silences et en non-dits presque cinématographiques dans leur délivrance, s'accorde très bien avec l'efficace dessin de Manu Larcenet, et on déguste cela comme ces mignardises servies avec le café.

   On n'en retirera cependant rien de plus. Ces histoires, sitôt lues, sont oubliées même si leur saveur sucrée reste sur les lèvres de l'esprit des mois après leur parcours. Il me semble que l'on doive les prendre pour ce qu'elles sont : des sortes de soupapes tranquilles, libérant l'auteur de l'introspection malheureuse qu'il construisait parallèlement, et le détendant avant ce chef d'œuvre du Blast dont j'ai longuement parlé. Contrairement à d'autres livres, je ne peux y revenir sans les avoir parfaitement effacés de ma mémoire alors que les autres, magistralement cités, ne me frappent jamais de leur oubli.

   

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