Bessie Smith (1894 - 1937)

Publié le par GouxMathieu

   Honte, honte à moi : des plusieurs années que date ce blog, jamais n'ai-je parlé de chanteuses ou de musiciennes. D'écrivaines, oui ; de développeuses de jeu, également ; mais dans la musique, point, ou alors comme fondues dans telle ou telle compilation. Pire encore, je ne m'en étais point aperçu, ce qui en dit sans doute beaucoup de la façon dont, encore, je vois le monde...

 

   Faisons amende honorable, et inaugurons cela avec Bessie Smith, celle que d'aucuns baptisèrent "l'impératrice du blues". J'ai souvent évoqué l'amour que je puis avoir pour ce genre musical, en lui-même ou par l'intermédiaire de son fils légitime, le jazz, et son petit-fils énervé, le rock'n roll ; et Bessie Smith sans doute aucun d'être l'un des piliers de la future postérité de ce qui n'était alors qu'une chanson d'esclave. 

   Dire que Norah Jones, que Sarah Vaughan, que Janis Joplin lui doivent beaucoup, c'est être juste, mais c'est encore trop essentialiser son importance fondamentale. Il faudrait rajouter Chuck Berry, Elvis peut-être, pourquoi pas aller jusqu'à Bruce Springsteen. Ce n'est pas qu'une question de rauque voix, de timbre sombre, de puissance : c'est, aussi et comme toujours lorsque nous parlons de ces musiques, une question raciale qu'il faut aborder.

   Les États-Unis, tout comme la plupart des pays du monde je le présume, connurent une histoire sociale des plus tumultueuses. Il me semble, mais peut-être est-ce parce que je me sens plutôt engagé ce dimanche, que l'on ne peut dissocier l'œuvre de Bessie Smith, ne serait-ce que les morceaux pour lesquels on la connaît le mieux et que je reproduis au long de ce billet, de ces luttes et ces chansons doivent s'entendre et se comprendre relativement à ces questions sociales. On me dira, "évidemment ; le blues est une musique noire, et le chantaient uniquement les anciens esclaves". C'est vrai, et Elvis notamment d'être connu pour avoir effacé cette distinction en s'appropriant ce qui était alors perçu comme une "sous-culture".

   Alors oui, on parlera, mais tout le monde l'a repris, du "St. Louis Blues", mais qu'en est-il du "I Aint'Got Nobody", qu'il est si facile d'entendre au-delà de l'élégie amoureuse ; l'on peut parler de "After you've gone", mais "Nobody Knows You When You're Down and Out" me déchire des larmes ; enfin et surtout, "Devil's Gonna Get You" est, de toutes, la chanson à laquelle je reviens toujours.

   Pour qui connaît un peu l'histoire, et pour qui s'est intéressé à la mort accidentelle de cette artiste, cela ne surprendra pas. Pour résumer, elle fut victime d'un accident de la route, jusque là, rien de marquant ; mais on se souviendra qu'au début du siècle dernier, dans les états du sud des États-Unis, les hôpitaux n'étaient pas "mixtes" et que les Afro-Américains, comme on dit aujourd'hui, avaient leurs structures dédiées. Rapidement, on raconta qu'un hôpital destiné aux blancs avait refusé la blessée qu'un ambulancier, soucieux des droits humains, avait amené rapidement ; qu'on l'avait amenée ailleurs, où elle serait effectivement accueillie ; qu'hélas, l'urgence était devenue fatalité, et qu'on ne pouvait plus rien faire.

   L'histoire fut depuis démentie, et par les journalistes, et par les officiels, et par les historiens, et par les spécialistes, mais elle demeure cependant. Elle reste vraisemblable et, ce qui est sans doute le plus triste encore, elle ne surprend pas. Partant, j'aime à croire que le "Diable" qui l'emporta jadis est bien autre que celui qui donna son talent à Robert Johnson, par exemple ; c'est un diable habillé en homme, le "white devil" qui remplaça le croque-mitaine, ou le boogeyman, des folklores du pays des grandes plaines. Toujours, cette chanson me fait penser à cela ; et de Bessie Smith à Michael Jackson, de Chuck Berry à Prince, elle est comme un mémento dans mon oreille. Et même si le "diable blanc" ne saurait moi m'emporter, je me demande bien si je peux encore dormir en sachant qu'il continuera ses basses œuvres.

  

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