L'Or (1925, Blaise Cendrars)

Publié le par GouxMathieu

   Jadis comme à présent, le jeu avec les marges, le code, les genres, me plaisait et me plaît énormément, que ce soit en musique, en jeu vidéo, en cinéma ou en littératureL'Or, généralement, est surtout considéré comme un roman ; il est pour moi davantage, et cela participe de mon intérêt.

 

 

 

 

   En ces temps de "biopic", du moins en ces temps où les films biographiques jouissent d'un très grand succès, L'Or pourrait très bien être offert, malgré son âge, à un tel se réjouissant et de l'histoire, et de la fiction. On a là l'histoire d'un homme, le général John Sutter, qui manqua d'être le plus riche du monde ; on suit son départ précipité de la vieille Europe, pour échapper à ses créanciers, ses aventures au long de sa traversée du nouveau monde, son succès en Californie puis sa très longue chute, et sa mort, dépossédé de tout, y compris de la justice qu'il réclamait pourtant.

   De cette histoire, de ce drame même, Hugo en aurait volontiers tiré un drame tant elle répond magistralement à la définition qu'il en aura donnée. Il y a des héros populaires, des marchands et des ouvriers ; une grandeur épique, une forme de destin finalement volée par l'ironie, le hasard ou les coïncidences. Cendrars en a fait une sorte de roman, mais c'est surtout comme cela que l'éditeur le vendit.

   En réalité, et lors de ma première lecture, c'est plutôt un poème que j'ai cru lire. Certes, il n'y a pas cette esthétique du fragment, ou du recueil plutôt, mollement reliée thématiquement et l'histoire est suivie ; mais n'importe quel lecteur, même débutant, reconnaîtra sans mal le soin apporté au rythme et au souffle, l'équilibre presque naturel de la moindre phrase, le ciselage élégant des événements et de leur succession. Difficile de s'arrêter en chemin lorsque L'Or commence : à la façon d'une noria ou d'un vortex démoniaque, nous sommes comme aspirés et concentrés jusqu'à l'extrême résolution du propos.

   Il y a aussi cet enthousiasme, jeuniste par endroit, juvénile même, enfantin, du conteur dans ce texte. Il est des écrivains qui ne voient dans le roman qu'une leçon de choses, je parlais de Hugo plus haut, je peux ajouter Zola ou Stendhal. Même Flaubert, de tous ces professeurs sans doute le plus désintéressé, est au service de son détachement et croit volontiers à sa grandeur terrible, même s'il feint le dédain. Il n'y a pas de cela ici, et il n'y a pas cela chez Cendrars d'ailleurs. Le plaisir du dit prend le dessus sur la joie du dire, l'on amuse sans élever. Nous vibrons au rythme de son propos, et lorsqu'il se délecte de cette péripétie, nous en faisons de même, moins lecteur que spectateur de cette trémulante existence.

   Les Universitaires rapidement, et évidemment, s'introduisirent après le poète et rectifièrent historiquement les erreurs de fiction. On raconte que les Américains furent bien énervés de voir l'une de leurs idoles, qui était à l'époque cependant bien oubliée, aussi légèrement traitée et aussi faussement décrite. Mais Cendrars, et Hergé dira de même dans un tout autre domaine, n'est pas un historien, jamais n'en a-t-il eu la prétention : il n'interpole pas son récit de ces contextualisations factuelles, de ces étymologies précises ou de ces guerres vues de nids d'aigle. Il bonimente ce qu'il dit, et il le fait incroyablement bien : malheureux celui qui croirait avoir là un cours d'histoire, la véritable lui semblerait à l'avenir bien triste.

   Il y a des chefs d'œuvre mineurs, et il en est de plus solides, de plus assurés dans leur conduite, de plus jolis dans leur mérite. L'Or, tout agréable soit-il et tout magistralement écrit soit-il, n'a pas cet orgueil de sicaire espagnol qui lui fait dire "me voilà", et donc le voici ; mais il a cette jeunesse éternelle, cette insouciance étrange qui me fait penser, toutes proportions égales par ailleurs, à ces feuilletons radiophoniques de la moitié du siècle dernier, aux aventures de Furax ou de Fantômas. C'est un plaisir d'adolescent, dégénéré sans doute : mais poétiquement solide et d'un intérêt à chaque page renouvelé.

  

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