Bojack Horseman (2014 - en cours, Raphael Bob-Waksberg)

Publié le par GouxMathieu

   Je sacrifie à l'actualité cette semaine, tandis que la nouvelle saison de cette série vient d'être rendue disponible ; elle méritait pourtant un petit billet, ne serait-ce que parce qu'elle fait partie des rares que j'ai visionné à deux ou trois reprises, en partie ou intégralement, sans m'en lasser. Il y a de belles choses ici, même si le début est assez terne : c'est que l'on joue tant et tant avec nos attentes que le balancier est difficile au commencement, avant de revenir vers une médiocrité que je n'aime que trop bien.

 

   Des sitcoms animés pour adultes, j'en ai évoquées quelques unes ici, sur le drame adolescent, sur la politique contemporaine, sur le nihilisme patent de nos existences humainesBojack Horseman, quelque part, de condenser ces trois éléments, dans le decorum si spécifique d'Hollywood et de l'univers du spectacle. Voilà Bojack, ancienne star de la télévision et has-been véritable, tenter de redonner un sens à sa vie, de trouver un nouveau projet, de devenir moins orgueilleux et moins désespéré.

Il est sans doute inutile à présent de revenir sur les détails de cette histoire, les nombreuses récompenses, analyses, discussions témoignent du succès de cette série qui prit tout le monde par surprise. Sa première saison cependant, son commencement, est des plus étranges car rien de ce que dit, fait ou évoque Bojack, notre protagoniste, ne le rend aimable ou capable de rédemption. On a bien entendu l'habitude des héros, des anti-héros même, et dans leurs qualités et leurs défauts, ils deviennent aimables, on les admire toujours un peu, on cherche encore à leur ressembler.

   Bojack, quant à lui et jusqu'à assez tard en réalité dans l'économie de cette série, n'a aucune, strictement aucune qualité rédemptrice. Il n'est pas maladroit, il est machiavélique ; il n'est pas intelligent, il est inculte et dérisoire ; il n'est pas cynique pour dissimuler quelques vieilles blessures oubliées, il est simplement méchant. Partant, et tandis que nous prenons ce train en marche, nous ne comprenons guère la raison pour laquelle l'on aura choisi de se concentrer sur ce certain cheval alors que l'aréopage semble bien plus intéressant, à commencer par Diane qui renvoie, évidemment et explicitement, à Daria que j'évoquais précédemment.

   Petit à petit cependant, des lignes commencent à se dessiner, il est une émergence particulière qui se met en place. La quête de Bojack n'est pas solipsiste, du moins, elle se superpose aux vies qui le pénètrent et à l'influence démesurée qu'il peut avoir sur celle-ci. Diane est comme renvoyée à ses propres contradictions ; Mr. Peanutbutter se trouve une nouvelle profondeur en essayant de plaire à ce qu'il pense être son meilleur ami ; Princess Carolyn apprendra à s'apprécier indépendamment du regard des autres.

   Il est alors comme une force centrifuge : tandis que les séries, traditionnellement, privilégient l'unique regard du personnage principal et font de ses seconds rôles autant d'arguments pour mieux le connaître, ici c'est Bojack qui, par une force comme accidente, adventice, invite tout un chacun à se remettre en question et, en premier lieu, à se demander ce qu'il ou elle fait encore dans le voisinage immédiat d'une créature aussi détestable. Certain.e.s donnent l'excuse de leur profession, de leur vieille amitié, autre chose : et finalement, chacun fait son examen de conscience. Ce ne sera qu'ensuite, une fois leur histoire résolue ou, du moins, avancée, que nous reviendrons à Bojack qui suivra alors davantage le pénible chemin qui mène à la vertu.

   Il y a, surtout et ici, une sincérité et un réalisme qui surprend de la part d'une série télévisée. Des séries larmoyantes, on en connaît bien ; des profondes et cyniques, on en voit volontiers ; mais des sincères ? C'est bien plus rare. Il n'est point de fin hypothétique ici, tout comme nos vies n'ont point de génériques lorsque survient telle ou telle étape marquante de leur développement ; tout au plus, seule la mort scandera la fin de notre parcours. Des personnages ici meurent : j'ai pleuré pour chacun d'entre eux. Ce n'est pas que Bojack Horseman résonne dans mon existence : c'est ces existences, toutes fictives soient-elles, qui rebondissent en moi. Rarement ne me suis-je autant investi pour des créatures de papier : et elles sont toutes réunies dans ce qui pourrait bien être, me concernant, un futur chef d'œuvre intemporel de la télévision.    

 

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