Lulu Femme nue (2008, Étienne Davodeau)

Publié le par GouxMathieu

   Je ne suis pas nécessairement amateur du terme de "roman graphique", comme s'il fallait nécessairement en appeler à un autre art pour douer la bande dessinée d'une respectabilité quelconque. Malgré, cependant, la maladresse terminologique, l'expression rend bien l'ambition : et cette histoire d'être l'une de ses meilleures représentations.

 

 

   Blast, dont j'avais parlé ici jadis, appartient aussi sans doute aux "romans graphiques", Watchmen également ; que de différences, pourtant, entre ces deux entrées et avec celle-ci. Tantôt l'on grave de magnifiques planches, dans la vallée séparant l'imaginaire du réel ; tantôt l'on se pique de multimodalité ou de silence ; tantôt l'on donne dans le politique ou le social. Lulu Femme nue est en-dehors encore : et dans un decorum en appelant à une BD, somme toute, "traditionnelle", se pique d'explorer une face intime de la personne humaine, et d'une femme en particulier.

   Je suis toujours méfiant, peut-être à raison d'ailleurs, de ces hommes qui mettent des femmes en protagonistes de leur histoire. Quelque part, il y a toujours quelque chose qui sonne faux, quand bien même éviterait-on la caricature la plus malhonnête, ou la complaisance la plus évidente. Davodeau, par endroit, grossit sans doute le trait et projette des fantasmes, bien masculins quant à eux, sur son héroïne : mais en considérant l'allégorie, en considérant qu'on a là davantage un essai qu'un témoignage, on pardonnera volontiers les raccourcis et les incongruités jetées sur l'autel du mystère féminin ou de la cruauté masculine. Misère de Mars et de Vénus !

   Cependant, et même s'il est à présent de ces choses qui continuent de me déranger ici, je ne peux m'empêcher de trouver là de la tendresse, une forme d'intelligence qui, à défaut d'atteindre la vérité nue, tend vers la compréhension ou l'essai de compréhension. Et autant peut-on fustiger celui ou celle qui n'aurait pas encore tout compris, autant doit-on encourager celui ou celle qui fait l'effort d'ouvrir son cœur et ses yeux.

   En une intrigue à la narration classique, celle d'une fugue racontée par plusieurs témoins, d'une échappée d'un morne et plat quotidien, cette sorte de Madame Bovary contemporaine offre comme une respiration, un moment d'accalmie dans une tempête mâtinée de désespoir amoureux, de détresse émotionnelle, d'échec professionnel. Triste, mais non larmoyant ; et pareillement, espérant, mais non joyeux. La médiocrité, encore et toujours : j'aime ce qui se situe à chemin entre l'ombre et la lumière, puisque l'on sait tous et toutes que jamais rien ni personne n'atteint absolument les extrêmes.

   Nonobstant ces quelques défauts, et ces réserves, parcourir encore Lulu femme nue fait toujours résonner en moi une énergie étrange, un élan incœrcible vers l'ailleurs, vers l'inconnu. Je n'ai jamais vraiment expérimenté les envies d'azur, les voyages lointains, sans rameurs, sur des fleuves inconnus : mes évasions sont toujours imaginaires, mes voyages surtout intérieurs. Tout le monde n'a pas le temps d'être aventurier.

   Il y a dès lors, et j'avais jadis trouvé ça chez Léry et ses Tupinambas, cet espionnage intime, presque érotique ou érotisé, ce vol d'une vie que l'on observe par un pertuis, petitement, sans contexte, passé ni futur, en s'imaginant des existences putatives et des rencontres fantomales. Une forme de beauté, pour ainsi dire, qui n'a rien à envier ni à la passion, ni à l'absolu : souvent, c'est encore l'innocence de la normalité qui me séduit le plus.

 

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